Un mur végétal en plein cœur de Genève

Qu’on ne s’y trompe pas : la star du mur végétal, auteur de réalisations toujours plus spectaculaires, de Riyad à Miami, n’est pas qu’un jardinier médiatique. Patrick Blanc est d’abord un chercheur, un fou de plantes, un passionné du végétal de toutes natures et origines, un explorateur des forêts et des jungles du globe.
Rencontre.

Sous sa chevelure aux reflets verts mijote donc un cerveau de scientifique, mais aussi d’artiste, prompt à décrire la plus petite plantule sous l’angle de l’extraordinaire – et de son potentiel à orner l’une de ses créations végétales. Au jardin de l’Amandolier, route de Chêne à Genève, il vient de réhabiliter la totalité des murs végétaux, redonnant du même coup un nouveau souffle au jardin tout entier. Celui-ci, pour mémoire, avait été réalisé suite à un concours international par l’agence parisienne Ter en 2008. L’intervention de Patrick Blanc est certes modeste en taille, mais elle compte aussi ses défis, notamment climatiques, que Patrick Blanc s’attache à résoudre, plante par plante. Il en livre le récit depuis son bureau parisien, à la veille d’un départ pour la jungle de Bornéo.

– Vous êtes botaniste, chercheur au CNRS*, explorateur et voyageur; vous créez aussi des paysages verticaux, on pourrait dire que vous êtes aussi architecte du paysage. Et vous comptez des clients prestigieux, partout dans le monde, vous êtes donc aussi un entrepreneur. Lequel de ces titres figure-t-il sur votre carte de visite?

Patrick Blanc – Aucun, je n’ai pas de carte de visite ! Mais pour me définir, je dirais que je suis inventeur et artiste. Je pourrais aussi dire que je suis lauréat de l’Académie des sciences. Et j’ajouterais sur la carte : « mur végétal ». Mais sûrement pas entrepreneur, je n’ai pas d’entreprise. Sur chaque projet, j’ai un partenaire technique, local, qui réalise pour moi la structure : fixation des barres de métal et des plaques de pvc expansé, puis ce que j’appelle des serpillières, c’est-à-dire des nattes textiles qui retiennent l’eau. C’est une autre entreprise qui installe ensuite les plantes, car il s’agit d’une tout autre compétence.

– De la même manière, comment définiriez-vous vos murs végétaux : des expériences botaniques, renouvelées et adaptées à chaque projet, des tableaux paysagers, des éléments d’architecture?

– Tout cela à la fois. Chaque nouveau mur a une dimension expérimentale, mais on peut dire qu’il y a deux grandes familles de projets : ceux à l’intérieur et ceux à l’extérieur. Pour les premiers, les conditions climatiques sont les mêmes partout dans le monde, à savoir une température constante de 21 degrés, pas de vent, une intensité lumineuse autour de 2 000 lux. Cela implique d’utiliser une palette végétale bien définie : les plantes de la forêt tropicale américaine, comme les philodendrons ou les schefflera, des asiatiques comme les ficus, quelques africaines aussi. Je cherche la part créative dans les formes, par exemple en ce moment je réalise à Bangkok un Rainforest chandelier de 25 mètres de haut. Il s’agit d’une spirale suspendue avec des câbles verticaux fins et de là partiront des plantes à longues racines qui vont plonger dans un bassin 45 mètres plus bas. Ces projets en trois dimensions, en déséquilibre dans l’espace, m’amusent beaucoup. J’ai très envie de développer ces recherches-là.

– Et dehors, quels sont vos projets actuels?

– Nous venons de poser 1 800 modules triangulaires, répartis sur les façades d’un centre de conférences à Riyad, où les températures atteignent 55 degrés. Le premier été s’est bien passé, vous m’en voyez soulagé ! Je travaille aussi sur le projet de tour avec vos compatriotes bâlois Herzog & de Meuron, à Miami : 70 colonnes de 12 à 20 mètres de haut, suspendues dans le vide. Et avec Jean Nouvel à Sydney : nous avons utilisé des lianes et des plantes grimpantes pour végétaliser des tours de 120 mètres de haut, plantées dans de grandes jardinières, elles-mêmes suspendues sur plusieurs niveaux. Le premier jardin botanique suspendu, en somme.

– A Genève, au jardin de l’Amandolier, votre intervention est plus modeste.

– Oui, mais elle a aussi une dimension expérimentale. Le climat est particulier, un peu plus froid qu’à Paris mais moins continental, grâce au lac. Le site du jardin de l’Amandolier est très protégé, j’ai pu installer quelques spécialités botaniques sur l’un des sept murs du jardin. Par exemple, dans cette sorte de canyon dans lequel soufflent les bouches d’aération du parking : ce climat constamment tiède permet de placer ici des plantes sensibles au froid, dès –3 degrés. Sur le site de l’Amandolier, j’ai mis des espèces ramenées du Japon, de Taïwan, des orties non piquantes, des bégonias.

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Jardin de l’Amandolier. Le long de la route de Chêne, un mur végétal réalisé par Patrick Blanc.

– Quelle est la genèse de cette escale genevoise?

– A l’origine, il s’agissait d’un mur végétal qui n’a pas très bien marché, avec des sphaignes, cette plante puisée dans les tourbières du Chili, qu’on devrait protéger partout dans le monde, comme on le fait en Europe depuis peu. J’aime bien ce jardin, très dessiné, très étudié, très particulier. Les murs y créent une enfilade qui permet des jeux de perspectives. Il y en a presque dix en tout ! Je me suis occupé également d’habiller la boîte technique.

– Et l’arrosage?

– C’est, avec le choix des plantes, l’autre clé de la réussite : il ne faut jamais imaginer de ne pas arroser, même avec des sphaignes capables de retenir l’eau ou des orpins, ces plantes de milieux secs qu’on utilise en toiture végétale extensive : même elles ont besoin d’eau. Or un jardin vertical n’intercepte pas l’eau de pluie, ça ne peut pas marcher. Il faut un arrosage régulier. Cela paraît évident pour les gens qui connaissent les plantes – et le vivant en général. C’est hélas rarement le cas des architectes, qui n’ont rien à faire du vivant, ils ne savent pas utiliser le vert et peinent à s’y intéresser. Je crois qu’ils le font surtout parce que c’est dans l’air du temps (rires). Ma connaissance du végétal me donne une certaine liberté : bien sûr je dessine aussi, je crée des motifs avec les plantes, et ce dessin compte au début, puis tout évolue et cela me convient très bien. Je ne suis pas sûr que cet aspect incontrôlable, propre au vivant, plaise aux architectes, qui sont d’abord des gens de la forme qui dure. Mais il y a des exceptions, bien entendu !

– Quelles sont les plantes qui sont adaptées au climat genevois?

– La première règle pour le jardin vertical est de choisir des plantes qui poussent naturellement dans les pentes et les talus. Elles ne sont pas forcément indigènes, mais supportent les hivers froids. C’est le cas des plantes de Nouvelle-Zélande (–7 à –8 °C) ou des Appalaches aux Etats-Unis –10 à –12 °C). En cas de gros coup de froid, on doit forcément replanter. Nous avons dû le faire au Musée du Quai Branly à Paris lors de l’hiver 2006-2007. Certains conifères ou les carex s’en fichent, d’autres meurent. Au jardin de l’Amandolier, j’ai choisi des heuchères, qui existent dans plusieurs couleurs de feuillages. Ou des espèces des Andes qui forment des coussinets. Mais aussi des bégonias, des pervenches, des sarcococa, certaines variétés de ronces, des fougères… J’évite en revanche les plantes au feuillage très abondant en été mais qui disparaissent complètement en hiver, comme les alchémilles.

Je suis monomaniaque, c’est ma chance.

Patrick Blanc, Paysagiste

– Avez-vous d’autres projets en vue?

– Oui, beaucoup de projets 100% végétaux pourrait-on dire. Je suis complètement monomaniaque. Les plantes sont mon obsession et le fil rouge de tout ce que j’entreprends. Que cela soit un voyage à Bornéo ou en Amazonie pour découvrir des espèces inconnues ou un projet comme le chandelier de Bangkok. Ma chance est que ma monomanie soit compatible avec un métier. Cela serait invivable sinon, pour moi et pour les autres !