Quand le jardin adoucit les maux

Les jardins thérapeutiques ne sont pas qu’un plaisir des yeux. Ils éveillent les sens et profitent à tout le corps, jusqu’à devenir un véritable médiateur thérapeutique entre soignants et soignés. En Suisse, des expériences sont menées, comme dans les centres hospitaliers de Lausanne et de Genève.

Les jardins thérapeutiques ne sont pas qu’un plaisir des yeux. Ils éveillent les sens et profitent à tout le corps, jusqu’à devenir un véritable médiateur thérapeutique entre soignants et soignés. En Suisse, des expériences sont menées, comme dans les centres hospitaliers de Lausanne et de Genève. Dès 1984, Roger Ulrich et Robert Simons montraient que les patients dont les fenêtres donnaient sur un parc récupéraient plus rapidement et avaient moins besoin d’anti-inflammatoires que ceux dont les fenêtres donnaient sur un mur. Une autre étude menée par Wichrowski indiquait que les patients atteints de problèmes cardiaques avaient un meilleur moral et une fréquence cardiaque plus basse après une séance d’hortithérapie. Depuis, bien d’autres recherches ont prouvé l’impact favorable de la nature sur la santé physique et mentale. Forts de ces constats, de nombreux établissements de psychiatrie aux Etats-Unis, au Royaume-Uni comme en France et en Allemagne ont ouvert leur porte à l’hortithérapie, avant de s’implanter dans des EMS et autres lieux médicalisés. En Suisse, ces jardins ont commencé à fleurir dans les cantons alémaniques, comme à l’hôpital Limmattal ou à la RehaClinic de Bad Zurzach, sous la houlette du professeur Renata Schneiter-Ulmann. En Suisse romande, deux hôpitaux ont introduit un jardin thérapeutique dans leur programme de soins, à Lausanne et à Genève.

Même dans le coma, les patients peuvent bénéficier des bienfaits du jardin

Ainsi, le CHUV a déclaré dès 2009 le développement de la neuroéducation précoce comme projet thérapeutique. Depuis 2011, cette unité, pionnière dans le domaine en Suisse, reçoit des patients dans le coma ou en éveil de coma pathologique, présentant des lésions cérébrales survenues après un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral (AVC). Toute une équipe de physiothérapeutes, ergothérapeutes, logopédistes et neuropsychologues travaillent de concert avec les neurologues et neurochirurgiens de l’Unité, pour réactiver le plus rapidement possible les réseaux neurosensoriels en passant par des stimuli sensoriels. Cette approche précoce, élaborée par la doctoresse Karin Diserens, permet de déceler les états de conscience cachée car « un patient peut tout à fait avoir une perception et un niveau de conscience éveillé même s’il est incapable de répondre au niveau moteur », explique-t-elle.

Aux côtés des massages et autres soins prodigués au quotidien, le dispositif fait appel à un robot de dernière génération baptisé Erigo, qui positionne verticalement les personnes tétraplégiques ou comateuses afin de simuler le mouvement de la marche et récupérer plus rapidement. L’autre innovation du CHUV, c’est le jardin thérapeutique spécialement conçu pour les patients en phase aigüe. « Ce n’est pas parce qu’il est dans le coma qu’il ne faut pas s’en occuper, explique Karin Diserens. Le patient est motivé par une approche agréable, aussi nous espérons que le fait de pouvoir sortir dans le jardin va intensifier les résultats. » Un espace de 300 m2 a vu le jour en 2013, dans l’espace consacré à l’hospitalisation en phase aiguë. Ici, il n’est pas question de bêcher, semer ou récolter. « Un grand bac est accessible aux patients en chaise, sur le lit ou debout, explique le médecin. Des plantes aromatiques, des fraisiers, des fleurs vives et des plantes douces au toucher ont été plantés pour stimuler la vue, l’odorat et l’ouïe. » Le ciel et les arbres environnants, le chant des oiseaux, le bourdonnement des abeilles ou le clapotis de l’eau de la fontaine sont tout autant de sources d’éveil. Non loin du bac, un petit pont en bois complète l’installation. Il permet à certains malades de faire quelques pas, en s’aidant de rambardes, en laissant leurs pieds nus découvrir différents revêtements faits d’herbe, de gravillons ou de copeaux de bois. Après quelques séances en extérieur, le patient devient parfois capable d’effectuer un mouvement qu’il n’était pas forcément en mesure d’exécuter au sein de sa chambre,faute de motivation suffisante. « Nous avons aussi noté une amélioration de l’éveil et de l’interaction avec l’environnement et la famille, reconnaît la Dresse Diserens. D’ailleurs, ces familles se montrent particulièrement satisfaites par cette expérience du jardin thérapeutique. Elles y trouvent un espace d’intimité avec leur parent hospitalisé. Il est
également possible d’amener des animaux et des instruments de musique qui ont, eux aussi, un impact sur l’amélioration des symptômes. La doctoresse et son équipe dressent un bilan très positif et continuent de développer l’approche. Une étude d’évaluation est d’ailleurs en cours afin de mesurer l’impact de mêmes objectifs réalisés en intérieur et en extérieur.

Genève aussi

A Genève, le service Enseignement Thérapeutique pour maladies chroniques a associé dès 2010 un jardin thérapeutique à son projet de soin de patients obèses. En vue d’améliorerle bien-être à l’hôpital, le service du professeur Golay avait mandaté une hortithérapeute pour créer un jardin collectif. En six ans, la parcelle mise à disposition n’a guère changé. Elle reste découpée en deux parties : l’une donnant sur l’hôpital regroupe quatre carrés potagers avec plantes aromatiques, fleurs, fraisiers, courgettes et tomates ainsi qu’une grande bordure plantée de pieds de framboisiers, de fenouils et de lavande ; L’autre, non cultivée est située à l’arrière, et accueille de grands arbres, des buissons d’hortensias et diverses variétés de fleurs… De quoi susciter des envies de promenade, l’observation et l’introspection.

Les personnes soignées peuvent mettre les mains dans la terre pour arroser, désherber et planter.

En 2014, l’équipe du Dr Frédéric Sittarame conçoit une nouvelle version, jardin, en y associant l’art-thérapie. Là encore, l’accompagnement des patients s’opère en tenant compte des besoins de chacun, selon leur individualité, leur histoire ou leur environnement. Pour prendre en charge la dizaine de patientes, l’équipe de médecins s’entoure
de diététicien, psychologue hypnothérapeute et art-thérapeute. Le programme alterne activités de jardinage, l’Etre au jardin et moments de création en atelier. « L’Objectif principal est de soutenir le désir de patientes souffrant d’obésité de prendre soin d’elles et de leur rapport à leur corps », explique Marie Lanier, l’art-thérapeute. Les séances abordent différents thèmes pour éveiller les sens à travers le toucher, l’odorat, le goût,la vue et autres sensations kinesthésiques, affiner la conscience corporelle et faciliter l’activité physique. Depuis cette année, des séances de pur jardinage sont proposées en dehors de l’espace de soin, où les personnes soignées peuvent mettre les mains dans la terre pour arroser, désherber et planter. « Au sens métaphorique et symbolique, le travail du jardin a permis d’ouvrir sur le « jardin intérieur » des patientes, encourageant une réflexion sur leur parcours, leur vie. Notre programme offre un cadre original pour penser, projeter et transformer le rapport au corps, à leur maladie, à leur vie en général, poursuit Marie Lanier. Travailler le jardin, c’est travailler sur soi, avec soi, en douceur, en étant à l’écoute de ses rythmes, à l’écoute de son corps. » Les patientes ont manifesté un réel enthousiasme pour ce programme, se sentant plus motivées à prendre soin d’elles-mêmes, à se respecter. Elles disent avoir vécu des prises de conscience sur leur mode de fonctionnement psychologique, sur leurs relations à la vie, à leur corps, à leur image, à la nourriture ainsi que sur le sens de leur engagement dans leurs soins. ■