Loi sur la biodiversité : la nouvelle arche de Noé

Le mot est sur toutes les lèvres, mais peu savent exactement ce qu’il recouvre. Peu importe : la «biodiversité» fait avancer la cause de l’environnement, de la nature et du paysage là où ils sont les plus menacés. Genève fait figure de pionnier en la matière.

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Close up of a little Swallowtail butterfly

Le terme de biodiversité contient à lui seul tous les organismes du monde vivant, leurs habitats et leurs interactions. Une véritable arche de Noé, d’autant que cette contraction des mots « diversité » et « biologique » est toujours accompagnée des vocables de la catastrophe : danger, déclin, extinction, urgence. Les politiques qui s’en prévalent veulent sauver les espèces du déluge destructeur que sont nos modes de vie contemporains. Ceci concerne toutes les espèces, y compris la nôtre. Si le mot n’est pas prisé des scientifiques – un concept et non un domaine de recherche – il est entré de plain-pied dans le langage courant. Mieux, il chapeaute désormais des lois. A Genève, l’Etat s’est doté d’une Loi sur la biodiversité, dès 2012. Il reste à ce jour le seul canton suisse à l’avoir fait. Le canton de Vaud « y pense sérieusement », selon Sébastien Beuchat, nouveau directeur des ressources et du patrimoine naturels, qui amène de son ancien canton professionnel les acquis de la jeune loi genevoise. D’autres cantons, comme l’Argovie, Zurich et Berne se sont dotés de programmes de mesures en faveur de la biodiversité, avec des objectifs à atteindre dans les dix ans. Mais aucun n’a de véritable loi spécifique.

Genève à la proue

« Toute pionnière qu’elle soit, la loi genevoise fixe des principes mais n’a pas de force contraignante, reconnaît Bertrand von Arx, conservateur cantonal de la nature à l’Etat de Genève. Si elle a été assez facilement acceptée, c’est justement grâce à son caractère incitatif et non restrictif. » Mais à quoi sert-elle au juste ? « A identifier des champs mal définis jusqu’ici, qui sont à la marge de la Loi cantonale sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS), qui date de 1977 et elle-même découlant de la Loi fédérale sur la protection de la nature (LPN), de 1966. Une époque à laquelle les notions de corridors biologiques, de nature en ville et même de sensibilisation à la nature n’étaient pas abordées. La Loi sur la biodiversité nous a donné le mandat de mener des actions spécifiques dans chacun de ces trois domaines. » Parmi ces actions se trouvent aussi bien le financement d’un inventaire de la nature en
ville, la participation à des projets de végétalisation de toitures ou de façades, la collecte et la mise en ligne des données faune et flore sur le système d’information du territoire (SITG), gratuit et accessible à tous, la diffusion de la Charte des jardins à destination des particuliers, des projets de pré-verdissement pour de nouveaux quartiers, des visites pédagogiques avec les écoles, la remise en état d’un milieu humide en ville…
Autant de programmes qui ont puisé leur légitimité dans la loi genevoise.

Un arsenal législatif

A voir la pluralité des actions qu’elle sous-tend à Genève, la première qualité d’une loi sur la biodiversité semble bien être sa capacité à fédérer des politiques environnementales éparses sous une même bannière. En Suisse comme dans d’autres pays d’Europe, chaque Etat dispose d’un arsenal de lois touchant à l’environnement, souvent une par domaine : la forêt, les eaux, les milieux, plus rarement le paysage. Elles sont appliquées sans grande concertation par des administrations différentes et spécialisées. Au risque de délivrer parfois des décisions contradictoires entre elles. Coordonner et unifier, c’était aussi l’une des missions du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et du paysage, âprement débattu en France depuis des mois. Et enfin adopté, cet été, par les deux chambres parlementaires. Très foisonnant dans sa première version, ce texte ambitieux a littéralement fondu au fil de ses passages devant des sénateurs et des députés très mobilisés contre certains de ses articles. Comme pour la loi genevoise, les principes généraux ont passé la rampe sans souci : inscrire la trilogie « éviter, réduire, compenser » en matière d’atteinte à l’environnement, limiter le pillage des connaissances et ressources traditionnelles, créer une agence nationale pour la biodiversité en fédérant les domaines concernés… Des principes de valeur mais de faible impact direct Deux articles majeurs ont en revanche été écornés, voire supprimés. L’un pour l’interdiction totale et sans dérogation des pesticides systémiques dits néonicotinoïdes, tenus pour responsables du dépérissement des abeilles et pollinisateurs, amplement utilisés dans l’agriculture intensive. Ils seront finalement interdits mais progressivement, avec des dérogations possibles1. L’autre article concernait l’instauration d’une taxe surnommée « Nutella », qui cherchait à fiscaliser plus lourdement que les autres l’huile de palme, à la fois responsable de la déforestation et facteur reconnu d’obésité. Les plus ardents combattants de ces deux articles (et d’une partie des quelque 29 autres amendements qui ont accompagné le parcours parlementaire du texte) représentent les milieux de l’agriculture intensive, de l’industrie agroalimentaire et celui des chasseurs. Ils ont eu gain de cause, accusant les partisans de la loi de dogmatisme ultravert et demanque de réalisme2.

Une loi pour fédérer des politiques environnementales éparses.

Marketing de la nature et du paysage

Pourtant, dans des cercles plus larges que ceux de la politique et du lobbyisme, scientifiques ou grand public, plus personne n’oserait encore contester la réalité du déclin des espèces. Il se lit aussi bien dans l’uniformisation génétique portée par l’industrie agroalimentaire que dans la destruction des habitats : près de 80% sont considérés comme inadéquats ou en mauvais état en Europe3. La liste des indicateurs est infinie. « Mais les gens savent sans savoir réellement, remarque Bertrand von Arx. Il reste un immense travail d’information et de sensibilisation à mener hors des milieux directement concernés par la protection de l’environnement. Les enjeux touchent notre cadre de vie et notre santé, les liens ne sont pas faciles à établir pour les non-spécialistes. Et les spécialistes sont rarement de bons communicateurs. Nous avons besoin d’un véritable marketing de la nature et du paysage. » ■