Le retour grandissant du bois dans l’architecture urbaine

Architecte et ébéniste, Christian Dupraz, bâtit avec le bois depuis longtemps. Entre admiration et démystification, il livre une vision nuancée de l’utilisation de ce matériau.

« Reconquérons notre futur ! » scandaient récemment la jeunesse suisse descendue dans la rue pour manifester son inquiétude face à l’urgence climatique. Dans ce contexte, les premières Rencontres WoodRise, qui se sont tenues au Palais Sicli à Carouge du 30 janvier au 2 février, tombaient à point nommé. L’ensemble de la filière bois est plus que jamais appelée à la rescousse d’une planète en souffrance. En réintégrant ce matériau au cœur des réalisations urbaines, l’architecture du XXIe siècle participe non seulement à construire de façon plus durable mais aussi à révolutionner la conception de l’habitat. Modularité des surfaces, économie et rapidité de mise en œuvre, propreté des chantiers, le bois revient en ville dans des constructions modernes et mixtes, de toute hauteur. Répondant aux attentes technologiques et écologiques, le bois serait-il parfait ? Réponse avec l’architecte Christian Dupraz.

Pourquoi le bois, après avoir été si longtemps délaissé en faveur du béton, est-il de nouveau sur le devant de la scène ?

Nous assistons ces dernières années à une formidable évolution dans les techniques de production d’une filière qui s’est adaptée aux exigences constructives et techniques. Dans plusieurs domaines de la construction, le bois peut rivaliser avec le béton. Dans les logements, le programme éducatif, les sports… De même, l’évolution des réglementations, notamment incendie, permet au bois aujourd’hui une parfaite adaptation aux exigences, alors jusqu’ici interdites. L’atout du bois est avant tout sa réalité écologique pour autant que les circuits restent courts et qu’en parallèle une gestion de la ressource s’opère. Quant aux inconvénients, je n’en citerai qu’un seul, qui n’en est pas un à mes yeux. Le bois nécessite un entretien plus assumé et implique d’autant les maîtres d’ouvrage. L’architecture, qu’elle soit de pierre ou d’acier requiert de l’attention. Le bois en demande un peu plus, ce qui responsabilise les utilisateurs comme les concepteurs.

Que change la réintroduction du bois dans votre manière d’aborder votre métier et de travailler ?

Je construis en bois depuis plusieurs années. En comparaison avec d’autres matériaux que j’ai pu également intégrer dans ma production, il impose, dès le stade de l’avant-projet, une approche dimensionnelle et constructive précise. C’est une exigence qui limite parfois les possibilités mais, à mes yeux, et au contraire, elle représente un principe de réalité qui nous implique plus dans l’enjeu que nous développons.

Récemment, nous avons terminé à Meyrin la Maison des Compagnies. Ce bâtiment, qui accueille deux compagnies de danse et de théâtre, est réalisé totalement en bois et dérivés du bois. Le programme de cette construction, en plus d’offrir des espaces dédiés à la production de spectacles, imposait le démontage total du bâtiment pour un déplacement ultérieur. Ce point est important car il a fixé comme enjeu conceptuel initial de développer un projet fait de pièces et d’éléments indépendants mais assemblés entre eux. Sur ce point, le mode de production nous a imposé une rigueur dimensionnelle et l’usage de matériaux en interdisant le gaspillage.

Nous n’avons pas encore basculé dans un champ où la ville durable s’invente pour elle-même.

Selon vous, quel visage pourrait prendre la ville du futur si le bois devait être réintroduit massivement en milieu urbain? Quels sont ses principales vertus et répondent-elles au besoin de densification? Peut-il apporter une réponse à la crise du logement que connaissent nos grandes villes européennes, grâce notamment à sa grande modularité ?

Sur le plan esthétique, l’usage du bois en milieu urbain ne présente pas ou peu de différences en comparaison des autres matériaux utilisés, étant donné les revêtements de protection qu’il reçoit (pierre, tôle, verre, béton préfabriqués). C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse précise mais disons que nous n’avons pas encore basculé dans un champ autre où la ville durable s’invente pour elle-même. Nos pratiques, nos habitudes sont encore passablement ancrées sur des réflexes qu’il nous est difficile de changer.

Concernant la densification, le bois n’apporte pas de réponse plus pertinente que d’autres matériaux. Cependant, il est vrai, ayant fait cette expérience d’une construction bois en préfabrication lourde, le bois permet d’édifier des architectures en un temps record. Mais prudence. Avant tout, il faut défendre la qualité de l’architecture. Il serait donc une erreur d’utiliser le bois à des fins de production uniquement pour fabriquer des « boites à habiter ». Ce matériau permet tant de choses qu’il serait bien triste de limiter ses possibilités à cela.

Pouvez-vous citer des projets réalisés en Suisse qui sont pour vous remarquables et ouvrent la voie à une construction plus durable ?

Je garde en mémoire la réalisation de l’école Suisse du bois à Bienne réalisée par Meili Peter architectes qui reste exemplaire à mes yeux. Plus récemment, le projet d’habitations à la Maiengasse à Bâle réalisés par Esch Sintzel montre la qualité de la réflexion et l’usage très simple mais efficace de principes de construction novateurs. L’architecture suisse reste de haute qualité et démontre depuis des décennies son intérêt pour une architecture durable où le bois joue pleinement son rôle.