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La nouvelle vie des gares italiennes

Le réseau ferroviaire italien (RFI) a décidé de louer gratuitement les gares inoccupées à des collectivités locales ou à des associations à but non lucratif. Dans tout le pays, les projets ambitieux fleurissent.

La gare de Ronciglione n’a pas accueilli le moindre voyageur depuis près de vingt ans, et pourtant, des millions de personnes l’ont déjà fréquentée… au cinéma ! A la fin des années 1990, Roberto Benigni est tombé sous le charme de cet édifice centenaire à la façade désuète. Il a choisi cette gare pour tourner quelques scènes de son chef-d’œuvre :
La vie est belle.

Un site abandonné à première vue

Une gloire bien éphémère. Après ce tournage, le lieu est retombé dans l’oubli. Aujourd’hui, les herbes folles ont envahi les voies. Au rez-de-chaussée, les persiennes en bois sont délabrées. A première vue, le site paraît abandonné. Il n’en est rien. Depuis quelques années, cette gare située à une cinquantaine de kilomètres de Rome reprend vie. Le réseau ferroviaire italien a décidé de donner le bâtiment en concession à l’association Cuore di Mamma (Coeur de maman). Au premier étage, les anciens appartements du chef de gare accueillent désormais des enfants malades et leurs familles.
Une dizaine de personnes habitent ici, gratuitement.
Les volontaires de l’association ont passé dix-huit mois à remettre les lieux en état. Ils ont aménagé trois chambres colorées, une cuisine, une salle de bains et une salle de jeux. «Je faisais le magicien pour enfants malades dans les hôpitaux. En les côtoyant, je me suis rendu compte qu’il y avait un manque flagrant de structures d’accueil. J’ai donc décidé de faire quelque chose, explique Francesco Giannelli Savastano, le président de Cuore di Mamma.
J’ai contacté le réseau ferroviaire italien, ils ont été immédiatement séduit par mon projet.»

Une quarantaine de familles hébergées en trois ans

Une quarantaine de familles ont été hébergées en trois ans par l’association. «Je reçois des sollicitations tous les jours, mais malheureusement on ne peut accueillir que trois familles à la fois», regrette Francesco Giannelli Savastano. Le président de Cuore di Mamma recherche inlassablement des fonds pour financer de nouvelles initiatives. Prochaine étape : réaménager le rez-de-chaussée de la gare. Il accueillera des enfants handicapés et une structure dédiée au soutien scolaire pour les élèves en difficulté.

On ne demande pas de loyer, mais en échange, les personnes s’engagent à remettre les wagons en état.

«Un accord gagnant-gagnant»

Ces projets d’utilité sociale, susceptibles de redonner un second souffle aux gares, sont le coeur de cible du réseau ferroviaire italien. Les progrès technologiques, les déplacements en voiture ont entraîné la fermeture de centaines de gares dans tout le pays. Désertés par les voyageurs, ces lieux se détériorent rapidement et sont souvent vandalisés. «Assurer la maintenance et la mise en sécurité de ces gares inoccupées ou peu fréquentées coûte cher, concède Umberto Lebruto, directeur de production chez RFI. Nous avons donc décidé de mettre gratuitement ces espaces à disposition pour promouvoir des projets à but non lucratif. C’est un accord gagnant-gagnant. On ne demande pas de loyer, mais en échange, les personnes qui prennent possession des lieux s’engagent à les occuper et à les remettre en état», détaille-t-il.

Distribution de repas gratuits

A la gare de Cervia, en Emilie-Romagne, l’ancienne salle de repos des cheminots a ainsi été transformée en cantine pour personnes en difficulté. «Ce n’est pas uniquement un lieu pour les pauvres. Nous accueillons aussi des gens qui se sentent seuls », insiste Silvia Elena Berlati, la présidente de l’association Un posto a tavola (Une place à table). Six jours sur sept, près de 80 personnes reçoivent ici un plat chaud à l’heure du déjeuner et un panier-repas le soir. Elles peuvent aussi se doucher ou faire leur lessive sur place. «Nous sommes là pour redonner de la dignité aux gens dans le besoin », poursuit Silvia Elena Berlati. La présidente de l’association «se trouve désormais un peu à l’étroit» dans ce bâtiment, mais elle n’envisage pas une seconde de déménager. «Tout le monde sait où se situe la gare. Les personnes, même de passage, nous trouvent facilement, c’est très pratique», souligne-t-elle.

Six jours sur sept, près de 80 personnes reçoivent ici un plat chaud à l’heure du déjeuner et un panier-repas le soir.

Des projets culturels aussi

A quelques kilomètres de là, la gare de Cotignola offre un spectacle insolite. La nuit vient de tomber, des rires d’enfants s’échappent. Milo et Olivia, un couple d’artistes, enchaînent les sketches et les acrobaties sur une scène installée à quelques mètres de la voie de chemin de fer. Ils ont été invités par l’association Cambio Binario. Ses membres ont réalisé un pari un peu fou : transformer une ancienne gare en théâtre ! Le vieil entrepôt, situé à proximité des rails, a été aménagé en salle de spectacle hivernale d’une capacité de plus de 80 places assises. En été, près de 400 personnes peuvent assister à des représentations en plein air. « Avant on échangeait ici de la marchandise, désormais c’est un lieu d’échanges culturels », sourit malicieusement Maurizio Casadio, le président de l’association. Avec une trentaine de volontaires, il entame la restauration d’anciens wagons de fret. Ils serviront à accueillir le futur bar et le foyer du théâtre. « Je connais cet endroit depuis mon enfance. A l’époque, c’était un lieu très fréquenté. Grâce à notre association et au réseau ferroviaire italien, les habitants de Cotignola reviennent ici », s’enorgueillit le président de Cambio Binario. En Italie, plus de 1 300 gares inoccupées attendent un destin similaire pour s’offrir enfin une nouvelle vie.

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