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La maison pour tous

A Berlin, un projet inter-religieux est porté sur les fonts baptismaux. Une « House of One » pour réunir chrétiens, juifs et musulmans sous un même toit.

Un soir de novembre dans la salle d’apparat de l’Eglise française de Gendarmenmarkt à Berlin, un pasteur, un imam et un rabbin siègent au premier rang du public. Côte à côte. Un voisinage qui paraîtrait impossible voire hérétique dans d’autres régions du monde mais qui prend tout son sens à Berlin, cité aux 205 communautés religieuses. « La ville où le pire massacre d’une communauté religieuse a été planifié mais aussi une cité de tolérance. La ville des plaies et des miracles ! » résume le rabbin Tor Ben Chorin. Le thème du séminaire qui réunit les trois religieux entourés d’une centaine de spectateurs assidus est : « A quel Dieu croyons-nous : la Charia ». Au pupitre de la salle aux reliefs baroques, un théologue musulman explique clairement que « la charia, un chemin vers la source en arabe, n’est pas un livre de lois mais des normes qui peuvent être interprétées. Et très mal interprétées par certains ! ». Un confrère protestant, lui succède pour souligner que « la cause des départs des jeunes occidentaux pour le djihad est davantage à rechercher dans les maux de nos sociétés que dans l’Islam ». Ce rendez-vous œcuménique basé sur la compréhension de l’autre et le respect est appelé un jour à s’ancrer dans la pierre.

Un bâtiment unique au monde

Le cœur de la future maison cultuelle sera précisément une salle de discussion et de rencontres surplombée par une coupole. Au niveau des fondations du bâtiment, il sera également possible de se documenter sur l’histoire de la ville berlinoise. Une bibliothèque et une salle de conférence seront destinées aux travaux scientifiques et à l’enseignement. Autour de cette salle centrale, trois lieux de prière réunies sous le même toit : une synagogue, une mosquée et une église. Ce bâtiment unique au monde verra le jour au cœur de la capitale, sur les lieux de la plus ancienne communauté religieuse de Berlin. « Des fouilles archéologiques ont mis au jour en 2007 les vestiges d’une Ecole Latine et d’un ancien cimetière » explique le pasteur Gregor Hohberg, initiateur du projet. « Ainsi que les fondations de cinq églises succcessives ». « La plus ancienne date de la création de Berlin au XIIIe siècle, la plus récente avait été dynamitée par le régime communiste en 1964 et l’esplanade avait été transformée en parking. Nous nous sommes alors demandés comment nous pouvions reconvertir et donner un nouvel élan à ce lieu de mémoire ».

Les édifices religieux se ressemblaient, car les religions étaient proches.

Une gageure pour l’architecte

Ainsi germe l’idée d’un édifice cultuel unique, d’un espace de concorde religieuse entre les trois religions monothéistes. Ce sera, après mûre réflexion et moult discussions, « The House of One » ou « la maison de prière et d’enseignement pour tous ». « One » signifie à la fois l’unicité du lieu et le point commun des trois religions : la croyance en un Dieu unique. La gageure aura été à la hauteur de l’enjeu pour le Berlinois Wilfried Kuhn, qui a remporté le concours d’architecture : « Il a fallu répondre aux souhaits et contraintes de chacune des religions. La synagogue et la mosquée sont orientées vers l’est et seront construites sur deux étages alors que le temple est de plain-pied. Il contient un orgue alors que dans la mosquée, il y a aussi un espace où les fidèles peuvent se laver les pieds. En fait, quand on étudie la typologie historique des bâtiments religieux, les Eglises n’ont pas besoin de tour et les mosquées de minarets, c’est une possibilité architecturale et non pas une nécessité. Plus on remonte dans le temps, et plus on s’aperçoit que les édifices religieux se ressemblaient, car les religions étaient proches. »

Un islam de tolérance et de paix

Les trois religions trouvent leur source à l’ère d’Abraham, mais il a fallu convaincre les fidèles du XXIe siècle. « Abattre les murs dans les têtes », selon la formule du pasteur Hohberg. Certains ont trouvé que le bâtiment ne faisait pas assez sacré et ressemblait à une tombe de Pharaon. D’autres ont accusé l’imam Sadir Kaci sur son compte Facebook de compromettre le Coran par ce jumelage avec d’autres religions. « Le président Gauck, un ancien pasteur, nous a félicités pour cet « important signal de paix », répond l’imam d’origine turque. A un moment où les guerres de religion menacent la paix du monde, nous voulons montrer un autre visage de l’islam que celui montré par les médias, un islam de tolérance et de respect. » Un exemple que des fidèles de lieux ravagés par la haine veulent copier, de la Bosnie jusqu’au Rwanda, en passant par Jérusalem.

La foi du charbonnier

Au centre de Berlin, les poids lourds et les cars de touristes frôlent la Petriplatz où il faudra du temps avant que le bâtiment de briques blondes sorte de terre. La « House of One » doit être la pierre angulaire de la rénovation du quartier. Lancée en juin, la campagne de crowdfunding peine à récolter les 1% des 43 millions d’euros nécessaires à la réalisation du projet. A ce rythme, il faudra plusieurs décennies pour l’entame des travaux, négociée à 10 millions d’euros. « Nous avons récolté plus de 100 000 euros de plus de 35 pays dans le monde ! corrige le pasteur Hohberg. Cela prouve que le lancement de notre campagne de dons a reçu un retentissement mondial. Et nous voulons poursuivre notre recherche. Notre site internet www.house-of-one.org déjà décliné en quatre langues sera bientôt disponible en arabe, en hébreu et en turc. Nous recevons des dons de particuliers, le fruit de collectes à la messe ou dans les entreprises. Nous avons rencontré les footballeurs du FC Union Berlin pour une discussion sur la religion et les jeux ou les responsables de la police du Land pour une thématique sur la religion et la violence. Nous ratissons large et nous n’en sommes qu’au début ! » Les trois responsables religieux ont la foi du charbonnier : le projet surmontera tous les obstacles spirituels et matériels. C’est une croyance partagée par toutes les religions : la foi peut soulever des montagnes.

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Société Urbanisme