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Interview de Vincent Desprez

Les espaces verts sont-ils devenus aujourd’hui des éléments clés dans le développement de projets urbanistiques ?

Vincent Desprez – Oui, c’est incontestable. Auparavant, les architectes avaient une sorte de mainmise sur l’aménagement urbain. Aujourd’hui, on tend de plus en plus à constituer des équipes pluridisciplinaires pour travailler sur les projets, et cela donne forcément de bons résultats. Nos manières de travailler ont donc changé. Il y a aussi des attentes plus fortes du public en termes de qualité de vie et d’environnement, ce qui passe par une réflexion sur les ambiances à créer et l’apport du végétal.

– Quel est l’élément déclencheur de ce changement ?

– C’est une résultante de mauvais exemples, ou d’échecs en termes d’espaces publics, qui fait qu’aujourd’hui on a des lieux, des quartiers qui n’ont pas forcément de fonctions d’usage, de bien-être en ville. Un exemple symptomatique, la place du Rhône à Genève. Avant, c’était une sorte de non-lieu et puis récemment elle a été réaménagée avec quelques arbres, des bancs et, du coup, cela attire du monde, même si la place est entourée de bureaux et de boutiques de luxe. Elle devient un lieu de vie, ce qui répond aux attentes de la population.

– L’usage que la population fait des parcs a-t-il changé ?

– Tout à fait. Il est assez incroyable de constater que depuis quelques années l’utilisation des parcs s’est transformée. Aujourd’hui, des familles entières s’y retrouvent, elles y passent la journée souvent. Il y a un brassage de cultures qui fait qu’aujourd’hui les personnes ont d’autres attentes par rapport à ces espaces de vie.

– Pourriez-vous citer une ville exemplaire en termes d’aménagement d’espaces libres en Suisse ?

– Lausanne a développé depuis de nombreuses années une réflexion, notamment avec des événements éphémères comme Lausanne Jardins. Le but est de montrer que la ville n’est pas aussi austère que cela. On pourrait d’ailleurs décliner ce concept dans d’autres villes romandes, pourquoi pas ? Sion, en termes d’espaces publics, a fait des choses très intéressantes avec son Service de l’urbanisme. A Neuchâtel, des démarches ont été initiées aussi, par exemple des grandes réflexions d’aménagement, de valorisation d’espaces publics entre le pôle de la gare et le centre-ville. Il y a aussi tout un travail sur la démarche participative, dont le but est d’associer les différents acteurs locaux, les associations de quartier, les habitants, dès le démarrage de la réflexion urbaine. Ce travail participatif peut donner des possibilités de façonner la ville différemment, avec toutes les limites de ces démarches, car au bout d’un moment on peut se demander qui aménage la ville ? Est-ce les habitants en fonction de leurs propres intérêts ou des professionnels avec des visions globales et cohérentes… ?

– Ce changement est-il effectif aujourd’hui ?

– Plutôt oui. Si j’hésite à vous répondre, c’est que, au niveau des réflexions ce changement est effectif, mais si vous me demandez de citer des exemples concrets de vision globale avec des démarches participatives, et si vous me demandez où elles ont été réalisées afin que vous puissiez aller les voir, je serais un peu emprunté pour vous donner un lieu. Aujourd’hui, ça alimente des dossiers et des débats publics, mais on n’est pas encore passé dans une phase de concrétisation. La volonté est là mais le temps que les choses se mettent en place concrètement, surtout en Suisse avec les entraves administratives, et la démocratie participative, qui a du bon mais qui peut freiner le projet, il faudra peut-être dix ou quinze ans pour mesurer les résultats et leurs effets. Cela dit, il me semble qu’on se donne les moyens de réfléchir d’une manière globale, de prendre des décisions de façon concertée et interdisciplinaire et d’une façon moins sectorielle.

– Quelle évolution cela induit au niveau de la formation, et des métiers du secteur ?

– Insister sur une approche globale du territoire, contrairement à une vision pas si lointaine. Prenons l’exemple du projet Demain la Suisse organisé par la Confédération. hepia a remporté le concours parce qu’on avait dans l’école des étudiants en architecture, en architecture du paysage, en agronomie, en génie civil, en gestion de la nature, pour tous les aspects environnementaux. Les étudiants ont travaillé en parfaite interdisciplinarité. Il ne faut pas oublier que ce sont les professionnels de demain, c’est bien qu’on leur apprenne à collaborer ensemble. C’est eux qui seront amenés à répondre aux différents défis du futur. En ce qui concerne le concours SPG/hepia, il n’y a pas d’antagonisme dès le départ, tout est imaginé entre un architecte du paysage et un architecte ; ils apprennent à travailler ensemble, même si leurs approches sont parfois différentes.

Il me semble qu’on se donne les moyens de réfléchir d’une manière globale.

Vincent Desprez, Chef du Service des parcs et promenades de la ville de Neuchâtel et professeur à l’hepia