Interview de Yves Pellaux

La production doit être mieux reconnue et valorisée.

Yves Pellaux, Président de Prométerre, organisation vaudoise de promotion des métiers de la terre

1. Pensez-vous que l’on puisse parler d’une progressive invasion du territoire par les villes et les infrastructures diverses, au détriment de l’agriculture ?

« Invasion », le mot est un peu fort, mais il y a une évidente pression de l’urbanisation sur les terres fertiles, très vive sur l’Arc lémanique et jusque dans le Nord vaudois. On sent les municipalités enclines à dézoner plutôt qu’à densifier. Les familles veulent des villas et des parcelles de 800 mètres carrés de jardin. Certaines évolutions de mentalité sont cependant sensibles actuellement, mais le phénomène reste préoccupant. De notre côté, pourrions-nous mieux valoriser les terres agricoles ? Pas toujours, car il faut une production diversifiée, et l’on ne peut exploiter à outrance telle ou telle culture qui ne répondrait ni aux demandes des Suisses, ni aux exigences de durabilité. N’oublions pas que 75 % du territoire suisse ne se prêtent qu’à la production d’herbe et donc au lait et à la viande. Il ne suffit donc pas, comme on l’entend dire parfois, de devenir végétarien ! Outre l’essor de l’urbain en plaine, c’est la forêt qui dévore peu à peu, en altitude, les alpages péniblement défrichés par nos ancêtres au XVIIIe siècle.

2. Comment jugez-vous la politique agricole suisse, notamment dans le contexte de l’Union européenne qui nous entoure et dans celui de la mondialisation ?

Il y a deux façons de voir les choses. Celle de l’Office fédéral de l’agriculture et d’Economie suisse, qui partent du principe qu’il y a un marché et que nous devons être concurrentiels. Et il y a la nôtre, qui consiste à remarquer qu’une montre, un vélo ou une voiture sont des produits de marché, dont on peut à la rigueur se passer, mais que se nourrir est un besoin fondamental. Il y a sur cette planète un milliard de gens qui ont faim. Chaque fois que la Suisse achète du blé sur le marché international, elle retire ce lot de la masse disponible pour des pays comme l’Ethiopie, qui peuvent difficilement s’aligner sur le même tarif. Plu-tôt que ce « grand marché » illusoire, il devrait y avoir des zones géographiques en fonction des revenus moyens des pays concernés, et au sein desquelles ils feraient leurs achats. Ce serait nettement plus éthique et surtout plus intelligent : à votre avis, pourquoi les immigrés affluent-ils à Lampedusa ?

3. L’idée d’une autosuffisance alimentaire, ou du moins d’une dépendance moindre des importations alimentaires, vous semble-t-elle utopique ?

C’est actuellement utopique, mais au moins pourrions-nous assurer le maximum d’approvisionnement local et conserver la possibilité de réagir à un éventuel changement de règle du jeu. Aujourd’hui, qui paie commande, et chacun se dit que nous sommes riches. Mais tout peut changer très vite. Rappelez-vous que le brusque arrêt, il y a quelques mois, des exportations de blé russe a provoqué des hausses de prix du pain et n’a pas peu contribué au déclenchement de ce que l’on appelle le Printemps arabe. Les gens descendent dans la rue lorsque la nourriture devient trop chère.

4. L’agriculture a reculé dans tous les pays industrialisés. A-t-elle encore un rôle à jouer, dans notre pays, dans les vingt ou cinquante ans à venir, et lequel ?

En termes de produit intérieur brut et d’emplois, l’agriculture pèse peu. Mais il faut tenir compte de l’amont et de l’aval : les bâtiments, les machines, les installations d’un côté, l’industrie alimentaire de l’autre. Si l’agriculture disparaît, tout cela disparaîtra aussi, tandis que les paysages non entretenus poseront de graves problèmes. En outre, une fois des sols laissés à l’abandon, il sera difficile, sinon impossible, de reprendre une production si cela s’avérait nécessaire.

5. Quelles mesures préconisez-vous pour assurer l’avenir de l’agriculture suisse ?

Je pense que la production doit être mieux reconnue et valorisée. Recevoir un salaire pour des prestations d’entretien du paysage est moins gratifiant que de savoir son produit utile et apprécié. Le lait, par exemple, est vu comme un produit de masse dont on dit clairement que les Danois ou les Allemands le produisent à moindre coût ; c’est démotivant pour des producteurs suisses dont le salaire horaire est faible et les charges fixes toujours plus élevées. Transporter des produits agricoles d’un bout à l’autre de l’Europe entraîne une surconsommation de pétrole nuisible. Il est temps de réaliser que la consommation de produits locaux est un acte efficace de développement durable. Heureusement, de plus en plus de gens en sont conscients.