Interview de Gilles Mulhauser
Limiter certaines dépendances est sain.
1. Pensez-vous que l’on puisse parler d’une progressive invasion du territoire par les villes et les infrastructures diverses, au détriment de l’agriculture ?
Je pense que la tendance est manifeste dans plusieurs régions de Suisse (fonds de vallées et Plateau) et que, socioculturellement parlant, la « bascule » a eu lieu en faveur d’une dominante citadine. Le canton de Genève a néanmoins su préserver un tissu agricole de qualité, tant sur le plan du paysage que sur celui des filières de production, et doit rester attentif au maintien de cette qualité, en intégrant les développements urbains qui se profilent. Si l’« invasion » a été contenue sur le territoire cantonal, l’enjeu est d’éviter aussi de la reporter sur d’autres territoires.
2. Comment jugez-vous la politique agricole suisse, notamment dans le contexte de l’Union européenne qui nous entoure et dans celui de la mondialisation ?
Dans mon domaine de compétence, j’ai apprécié l’engagement de l’agriculture suisse en faveur de prestations écologiques concrètes. Ces dernières ont eu un réel impact sur la biodiversité, l’environnement, le paysage. Même si des résultats similaires ont certaine-ment été atteints ailleurs en Europe et dans le monde, la traçabilité de ces prestations me paraît, par rapport à notre situation, encore floue dans beaucoup de cas.
3. L’idée d’une autosuffisance alimentaire, ou du moins d’une dépendance moindre des importations alimentaires, vous semble-t-elle utopique ?
L’utopie est d’imaginer 100 % d’autonomie dans des systèmes interdépendants comme les nôtres. Pour de nombreuses bonnes raisons (économiques, sociales, identitaires, environnementales, etc.), il tombe sous le sens que de tendre à limiter certaines dépendances est un processus sain, voire essentiel.
4. L’agriculture a reculé dans tous les pays industrialisés. A-t-elle encore un rôle à jouer, dans notre pays, dans les vingt ou cinquante ans à venir, et lequel ?
Oui, l’agriculture a de nombreux rôles à jouer dans les décennies à venir. Certains de ces rôles sont connus et leur apport économique peut être mesuré, mais je suis plus sensible au fait qu’il est nécessaire de maintenir les parts inestimables de l’agriculture pour nos sociétés, en particulier sur les plans socioculturel (notions de terroir, fonctions de délassement, images paysagères, etc.) et écologique (fertilité des sols, actions en faveur de la biodiversité, etc.).
5. Quelles mesures préconisez-vous pour assurer l’avenir de l’agriculture suisse ?
Le chemin de la mise en œuvre est difficile à trouver, mais une combinaison de mesures permettant d’assurer la multifonctionnalité de l’agriculture me paraît le point le plus important, ainsi que le débat critique et participatif entre les acteurs, tel qu’il a lieu depuis les années 1980.