Interview de François Erard

Il ne faut pas opposer l’agriculture et la production de logements.

François Erard, Directeur d’AgriGenève

1. Pensez-vous que l’on puisse parler d’une progressive invasion du territoire par les villes et les infrastructures diverses, au détriment de l’agriculture ?

Par nature, l’étalement urbain se fait au détriment de la zone agricole, donc de l’agriculture. Comparer une carte du Plateau suisse des années 60 et d’aujourd’hui permet de s’en convaincre. En Suisse, c’est un mètre carré de terre agricole qui disparaît chaque seconde et sur le plan mondial la surface agricole disponible par habitant ne cesse de régresser. C’est inquiétant, car le sol est un bien non renouvelable : toute atteinte qui lui est portée est irréversible. Or la zone agricole n’est pas une réserve foncière utile au développement urbanistique. Elle a pour vocation de produire la nourriture indispensable à la population. Cela dit, il ne faut pas opposer l’agriculture et la production de logements. L’étalement urbain n’est pas une fatalité ! D’autres pistes doivent être explorées, notamment en termes de densification. Il faut construire la ville dans la ville.

2. Comment jugez-vous la politique agricole suisse, notamment dans le contexte de l’Union européenne qui nous entoure et dans celui de la mondialisation ?

Notre politique agricole est très exigeante envers les paysans, qui doivent produire selon les standards les plus sévères du monde. Cela garantit aux consommateurs des produits de haute qualité, élaborés dans des conditions sociales, de protection des animaux et environnementales très strictes. Et c’est tant mieux. Mais ces standards renchérissent les frais de production. Nous ne sommes plus d’accord avec la politique agricole quand elle demande aux paysans de continuer à produire selon les standards suisses, tout en devenant concurrentielle, en termes financiers, avec les produits importés de l’UE ou du Nouveau-Monde. Pays dans lesquels les conditions de production sont moins sévères, voire carrément inadmissibles dans certains cas.

3. L’idée d’une autosuffisance alimentaire, ou du moins d’une dépendance moindre des importations alimentaires, vous semble-t-elle utopique ?

Notre pays possède une autosuffisance alimentaire de l’ordre de 60 %. Autrement dit, les Suisses dépendent pour 40 % de l’étranger en ce qui regarde leur alimentation. Cette dépendance est la plus élevée des pays de l’OCDE. En raison de nos contraintes climatiques, nous ne pouvons pas cultiver certains produits comme des agrumes ou du riz : il est donc illusoire de vouloir atteindre un 100 % d’autosuffisance. Par contre, maintenir notre taux actuel est une nécessité en termes de sécurité alimentaire. Tout Etat responsable ne peut pas confier à d’autres le soin de nourrir sa population.

4. L’agriculture a reculé dans tous les pays industrialisés. A-t-elle encore un rôle à jouer, dans notre pays, dans les vingt ou cinquante ans à venir, et lequel ?

L’agriculture répond à un besoin physiologique fondamental de tout être humain : l’apport quotidien, sous forme d’aliments, des calories nécessaires à sa survie. Dans notre société de profusion, on l’a souvent oublié ! Ce rôle fonda-mental demeurera tant que l’espèce humaine subsistera. L’importance de l’agriculture productrice s’accentuera dans un proche avenir, au regard de la croissance démographique mondiale. Chaque heure qui passe, il y a 8 000 bouches de plus à nourrir sur notre planète : le rôle nourricier de l’agriculture ne s’estompera pas à l’avenir, dans notre pays comme ailleurs. Bien au contraire !

5. Quelles mesures préconisez-vous pour assurer l’avenir de l’agriculture suisse ?

L’agriculture suisse, mis à part pour quelques produits de niche, n’a pas de vocation exportatrice. Elle doit renforcer sa présence sur le marché intérieur. Pour en revenir à la première question de l’interview, qui évoque l’invasion des campagnes par les villes, l’avenir de l’agriculture suisse pourrait passer par un contrat entre Ville et Campagne. Ce contrat devrait contenir des engagements de la Campagne en termes de diversité, de qualité des produits, ainsi que de leur mise à disposition dans des circuits de vente courts. En contrepartie, la Ville garantirait l’achat d’un certain volume de produits à des prix couvrant les frais de production pour les paysans. Un vrai système gagnant-gagnant !