Interview de Christophe Bosson

Réinventons notre métier !

Christophe Bosson, Agriculteur-viticulteur, Genève

1. Pensez-vous que l’on puisse parler d’une progressive invasion du territoire par les villes et les infrastructures diverses, au détriment de l’agriculture ?

Bien sûr. Chaque mètre carré perdu est un mètre carré qui ne servira plus à nourrir les gens ! On oublie trop souvent que la terre est avant tout destinée à cela. Un paysan n’est pas là pour décorer l’horizon avec des beaux champs de colza ou de tournesols, mais bien pour fournir des produits alimentaires. Le pire, c’est que l’on bétonne parfois des hectares pour construire des zones industrielles à un étage, avec d’immenses parkings en surface. Nous ne sommes pas au Far West, le sol est précieux et le mitage du territoire catastrophique.

2. Comment jugez-vous la politique agricole suisse, notamment dans le contexte de l’Union européenne qui nous entoure et dans celui de la mondialisation ?

C’est un vaste sujet. Il y a une volonté claire de maintenir une agriculture en Suisse, mais cela implique d’assumer un certain coût. Si un producteur de lait touche un franc par litre, il n’aura plus besoin d’aides directes, ni de compensations. Les conditions de production agricole en Suisse sont très dures. Comment assumer, par exemple, l’impact du foncier ? Un hectare dans le Loiret français coûtera CHF 8 000.–, alors qu’ici il en vaut 80 000. Le monde paysan est mitigé lorsqu’on lui parle de financer le maintien des paysages plutôt que de produire. Les aides à la production écologique, ou au marketing des produits, paraissent plus cohérentes et plus utiles que la notion de paysage, franchement subjective.

3. L’idée d’une autosuffisance alimentaire, ou du moins d’une dépendance moindre des importations alimentaires, vous semble-t-elle utopique ?

L’autonomie alimentaire suisse est de 60 %, mais la population croît, tandis que les surfaces cultivables diminuent, les rendements à l’hectare stagnent. Dès lors, on ne peut, à terme, que dépendre davantage de l’étranger. Tant que nous sommes riches, nous pouvons à la fois acheter des denrées alimentaires, pro-duites pour certaines dans des conditions environnementales et sociales « difficile », sur les marchés internationaux et verser un peu d’argent à la Chaîne du Bonheur pour aider les populations de ces mêmes pays à avoir de quoi se nourrir. Le jour où l’on devra payer un juste prix pour la nourriture importée, ça va faire mal. Soit on densifie les zones construites et on protège
l’agriculture, soit il est illusoire de penser maintenir une auto-suffisance, même relative.

4. L’agriculture a reculé dans tous les pays industrialisés. A-t-elle encore un rôle à jouer, dans notre pays, dans les vingt ou cinquante ans à venir, et lequel ?

L’agriculture a un rôle premier, essentiel, vital, celui de donner à manger aux hommes. Ensuite, sa fonction dans le cadre du développement durable me paraît très importante, et les compensations reçues à ce propos justifiées. Dans notre exploitation, par exemple, nous travaillons depuis quinze ans déjà en étroite collaboration avec le Service de la faune ; nous ne plantons ni ne supprimons jamais une haie sans le préavis de ses experts. Cette coordination des savoirs pour protéger l’environnement est importante.

5. Quelles mesures préconisez-vous pour assurer l’avenir de l’agriculture suisse ?

La première mesure à prendre est la protection des sols, avec un aménagement du territoire intelligent et des critères stricts de densité pour le bâti. Il faut aussi favoriser une agriculture qualitative et une production respectueuse de la nature. Ainsi, les sélections de semences et les recherches menées à la Station agronomique fédérale de Changins ou ailleurs, dans un cadre étatique et neutre, garantissent un haut niveau de productivité et une qualité irréprochable. Ce serait une catastrophe de dépendre des privés à ce propos ! Tout doit être fait également pour valoriser les produits : depuis quelques années, nous produisons nos propres pâtes, avec notre propre blé. N’oublions pas qu’outre-Atlantique, on mise à fond sur les transgéniques, on utilise les antibiotiques, on chlore les poulets… et j’en passe. Nous, nous échappons à ces dérives ; il nous faut maintenant réinventer notre métier. C’est possible : prenez l’exemple du vin genevois, passé en quelques années du produit de masse à une production raffinée et appréciée.