Chine : Les paysans grands perdants du conflit entre sécurité alimentaire et développement économique

En Chine, l’urbanisation et le développement économique très rapides nécessitent des terres, la sécurité alimentaire aussi. Le recul des surfaces cultivables rend le défi de plus en plus difficile. Si le recours à davantage d’importations est inévitable, la « délocalisation » de l’agriculture semble aussi être une solution envisagée.

Dans le comté de Xianghe, les villageois se battent contre le gouvernement local qui grignote leurs champs pour les revendre à des promoteurs et les transforme en usines ou en projets immobiliers. La loi chinoise stipule que la terre est la propriété collective du village, les autorités locales les répartissent selon le nombre de familles ce qui permet aux fonctionnaires les moins intègres de réquisitionner au nom de « l’intérêt public » et d’en faire des terrains constructibles bien plus rémunérateurs pour le gouvernement local et ses intermédiaires. Pékin a fini par s’en inquiéter : le gouvernement impose de conserver 1,8 milliard de mu de terres cultivées minimum pour assurer la sécurité alimentaire mais la ligne rouge est presque franchie : en février 2010, il restait 1 826 millions de mu consacrés aux récoltes. En réponse, le gouvernement a initié depuis 2008 une expérimentation pour densifier l’habitat rural ; en clair, il s’agit de déplacer les paysans dans de hautes tours, pour refaire des champs. L’expérience a largement été détournée selon le China Economic Times. Il est interdit d’appliquer ce programme contre la volonté des paysans, qui doivent être indemnisés correctement et relogés dans de bonnes conditions ; les bénéfices retirés de la vente des terrains devenus constructibles doivent leur revenir et « servir à la construction du village et de ses infrastructures de base ». Mais dans la province côtière du Jiangsu, une dizaine d’habitants de Batou ont été hospitalisés après des combats lors de leur relogement forcé, leur village a été rasé et remplacé par quelques dizaines de gratte-ciel dont les appartements ont été proposés à la vente plus chers que leurs anciens logements. Une jeune femme de 35 ans qui ne pouvait pas payer pour ce nouveau toit s’est suicidée. « Bien souvent, les gouvernements locaux sont liés avec les développeurs, la police ne fera rien pour aider les paysans, explique Hu Zhe Tie, un avocat spécialiste des expropriations. Les terres arables ne cessent de diminuer à cause de la rapacité des officiels.»

La Chine qui doit nourrir 22% de la population mondiale avec seulement 7% des terres arables a de plus en plus recours aux importations.

Acheter des terres

La Chine qui doit nourrir 22% de la population mondiale avec seulement 7% des terres arables a de plus en plus recours aux importations et mise sur une autre stratégie plus risquée : la délocalisation, c’est-à-dire l’achat de terres cultivables à l’étranger. En avril, Pékin a publié un « programme pour la coopération économique et technique à l’étranger » dans lequel l’agriculture devient un secteur clé. C’est une nouveauté et le signe que le pouvoir chinois encourage officiellement ses entreprises à acheter, louer ou exploiter des terrains agricoles outre-mer. En 2008, le ministre de l’Agriculture avait déjà proposé un plan similaire avant de faire machine arrière devant la levée de boucliers internationale. « Avec le changement climatique, la demande pour les biocarburants et l’augmentation de la population mondiale, l’agriculture est devenue un bon investissement, explique Liu Hailing, directeur de Fu En De, un fonds d’investissement spécialisé dans l’agro alimentaire ; la Chine apporte des capitaux, des technologies et des compétences managériales qui manquent. C’est une relation gagnant-gagnant. » Peut-être, mais la location ou l’achat du sol national par une entreprise ou un Etat étranger est politiquement sensible. L’année dernière, la société Chongqing Grain Group a annoncé qu’elle injecterait 269 millions d’euros pour une plantation de soja, le plus important investissement agricole national à l’étranger. La première conséquence a été un projet de loi visant à interdire la vente de terres brésiliennes à des étrangers.