Blaise Hofmann raconte la vie des paysans

Son livre « Faire paysan » cartonne en librairie. À travers des témoignages d’agriculteurs et ses racines, l’écrivain vaudois livre un récit engagé et une enquête sur leurs conditions de travail, défendant un métier sous le feu des critiques.

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(Roman Lusser/éditions Zoé)
L’écrivain Blaise Hofmann.

Il court les plateaux de télé, les studios de radio, les librairies de toute l’Europe francophone où il est invité à parler de son best-seller. Faire paysan, c’est une ode concrète à la paysannerie, à l’agriculture, à la campagne et à un métier souvent décrié. « J’ai voulu redonner ses lettres de noblesse à la paysannerie, tout en essayant de ne pas m’engager dans un camp. Même si, dans le dernier chapitre, j’assume un certain lyrisme paysan. La loyauté envers la famille a pris le dessus », explique Blaise Hofmann, écrivain, voyageur, mais aussi fils et petit-fils d’agriculteurs. Depuis sa sortie en mars 2023, son livre est dans la liste des 10 meilleures ventes chez Payot.

Il a parlé avec authenticité de ce milieu rural que l’on connaît mal à la Foire du livre de Bruxelles, à la Comédie du Livre à Montpellier, au festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo, à la RTS et sur la chaîne TV5 Monde. Une belle consécration pour cet auteur, qui aime ce qu’il fait et qui choie son entourage, sa famille et sa vigne. «Voilà six ans que j’ai emménagé dans mon village d’origine, Villars-sous-Yens. Je m’occupe d’un hectare de vignes qui appartenait à mon grand-père, puis à mon père. Cela représente un 20% en termes de temps de travail. Je cultive du chasselas, du gamay et du garanoir pour lesquels nous avons reçu le label Terravin.»

Toboggan jaune

La créativité de Blaise Hofmann ne tarit pas. Il a scié les barreaux de la rambarde de sa terrasse pour y placer un petit toboggan jaune. Ses filles y glissent dans le jardin devant la maison villageoise où l’écrivain vit avec sa compagne Virginie. Le « bello » séducteur, comme elle le charrie, avait lâché le bail de son appartement à Lausanne quand il se sont rencontrés, il y a une dizaine d’années. « C’était la plus belle preuve d’amour que je pouvais lui donner ! » Et les rires retentissent sur la terrasse ensoleillée face au paysage campagnard de La Côte, là où le couple a planté un tilleul et un merisier pour la naissance de Eve et Alice.

Faire paysan est inspiré de ces terres sur lesquelles Blaise a grandi, attaché et parfois contraint aux travaux de la ferme. Il porte en lui le savoir paysan, les habitudes, les gestes, l’observation… la preuve, une branche sur la terrasse trop fournie attire son attention : « À cette période, avant l’été, on effeuille, on rebiole, en patois vaudois. C’est comme pour les tomates, qui arborent ces mêmes petites tiges. Là, on doit l’ôter car elle prend de la sève et du soleil. Ce travail sert à la vigne qui est en réalité une liane, elle ne cesse de pousser. Alors il faut ébourgeonner, palisser, rogner, etc. »

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(éditions Zoé)
Faire paysan, Éd. Zoé, 224 pages
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(Roman Lusser/éditions Zoé)
Portrait de Blaise Hofmann

Critique virulente

Chez Blaise Hofmann, il fait bon vivre. La campagne environnante sent la nature pure et ses deux filles qui jouent font souffler un air plaisant d’insouciance, alors que la question de ce que signifie « faire paysan » revient sur la table. Et suscite des inquiétudes à l’heure où l’activité à la base de notre alimentation est souvent méconnue, voire méprisée. « Le sujet semble terre à terre, mais je navigue entre le fait d’être fils de paysan et mon point de vue sur les pratiques actuelles. La critique virulente de la paysannerie m’a fait réagir et poussé à écrire ce livre. J’y recueille des récits de paysans et mène une enquête autour de leurs conditions de travail. Des changements structurels doivent se faire. Par exemple, le monopole, les marges et la transparence des deux principales chaînes de supermarchés en Suisse doivent être remis en question, pour le bien-être de tous, des producteurs comme des consommateurs.»

Nuits d’insomnie

Les éditions Zoé ont publié de nombreux ouvrages de l’écrivain rebelle et éclectique, parti du récit de voyage pour arriver à l’enquête journalistique sur un sujet qui lui tient à cœur. Une plume proche des gens, que les lecteurs plébiscitent. La veille de notre rencontre, il raconte être allé au Sentier, faire une lecture de son ouvrage dans une ferme. « J’ai pris dix cartons de vin dans le coffre de la voiture et des livres. Tout est parti et j’ai eu plein de discussions ! C’était magnifique. En fonction du public, il y a plus ou moins d’interactions. Parfois, quand je suis invité dans des librairies, on questionne plus les rôles de l’agrochimie, de la Fenaco (la Fédération nationale des coopératives, ndlr) ou de la grande distribution. Au Sentier, les participants se sont petit à petit ouverts et ont partagé des histoires intimes, familiales, paysannes ! » Blaise explique le contexte chez les Combiers, les habitants de la vallée de Joux, leur caractère plutôt réservé qui, au bout de trente minutes de conférence et quelques verres, débouche sur des questions-témoignages où ils racontent leur vie. « Ils s’identifient. Fils, ou petit-fils, de paysan, leur ancrage ressort. Durant la rencontre, j’ai donné la parole à un paysan, taiseux de premier abord, il a dit : ‘ Ben, je ne sais trop que dire, c’est vrai que 40 heures par semaine, c’est un mi-temps pour moi ! ’ Et puis il s’est ouvert, il a raconté ses durs labeurs, les hypothèques qui augmentent et qui donnent des insomnies, le choix contraint de la stabulation ( le séjour du bétail en étable, ndlr ), ses garçons qui vont reprendre l’exploitation. Ensuite, sa femme a pris la parole. « Ma mission est aussi de parvenir à faire parler les paysannes de leurs problèmes », reprend Blaise Hofmann. Le manque de reconnaissance sociale, le fait de ne pas être copropriétaire ou coexploitante, l’absence de cotisations à la LPP ou simplement pour l’AVS. Et la charge mentale double. Les femmes dans l’agriculture, c’est un sujet à part entière. »

Ma mission est aussi de parvenir à faire parler les paysannes de leurs problèmes.

Blaise Hofmann, écrivain

Emporté par Cendrars

Depuis la sortie de Faire paysan, il ne cesse de répondre à des questions sur l’écriture, la lecture, le voyage. Il l’avoue : c’est son homonyme Blaise Cendrars qui l’a initialement emporté dans un souffle plein d’idées, dans le vent qu’il respire, dans l’air qu’il embrasse de tout son être. Ouvert au moment présent, Blaise Hofmann écrit pour graver les instants, il dit que la communication comporte des mots qui n’ont pas de portance, tandis que la lecture et l’écriture prennent du temps, le touchent, comme il se laisse porter par son métier de viticulteur.

Quand Blaise intervient quelque part, au cinéma de Cossonay, chez une bergère dans le Jura avec l’ANPA (Association nature et patrimoine Apples), au Livre sur les quais à Morges, tout commence par des questions formelles et « comme dans la petite librairie de La Chaux, trois heures après la rencontre, on est toujours là, à débattre de l’agriculture actuelle. » Nul besoin de décrire l’intérêt que suscite la problématique des terres à cultiver en Suisse romande. Entre les doutes, les difficultés de la profession, la grande distribution, les citadins écolos, la permaculture, l’état de l’agriculture après la pandémie, les sujets ne s’épuisent pas. Contrairement aux terres, qui deviennent de moins en moins accessibles. Un problème pour la nouvelle génération qui s’engage. D’autant plus que depuis 2022, les apprentis à vouloir « faire paysan » augmentent. « Ils sont 5% de plus à suivre le CFC vaudois, mais cette tendance s’observe dans tous les cantons. De la même manière, on constate qu’il y a plus de femmes et de néoruraux qui décrochent leur certificat. Ce qui fait trois bonnes nouvelles. La mauvaise est que tout est fait, dans le système, surtout en ce qui concerne les paiements directs, pour encourager les exploitations plus grandes. Donc pour en avoir moins. L’accès à la terre est problématique. Avoir sa propre exploitation est très compliqué. »

Dur d’être néorural

Les chiffres parlent mais ne disent pas que, dans ses 5% d’apprentis supplémentaires, on ne compte pas tous les citadins – et ils sont nombreux – qui se lancent dans des projets de microfermes ou de permaculture, car ces derniers ne suivent pas l’école d’agriculture. Ils se forment à travers des stages un peu partout en Suisse romande. « Le point négatif est que ce sont les mêmes qui lâchent l’affaire au bout d’un moment, car si, pendant la pandémie, le contact direct était favorisé et les gens acceptaient de payer les produits du marché un peu plus cher, faire durer ce type de projets est difficile. Personnellement, je me sentirais mal à l’aise de critiquer cette agriculture de niche. Ces jeunes ont de l’audace, ils bossent comme des dingues, mais le fait est que l’espérance de vie de leurs activités est généralement de cinq ans, voire de dix ans pour ceux qui sont de bons entrepreneurs, ont un solide réseau et maîtrisent bien la communication. » Ce constat sur la difficulté de créer un réseau solide est presque inconcevable à l’ère du social networking. « Chez les consommateurs, l’envie et le discours sont là, mais ils peinent parfois à passer à l’acte. Rares sont encore ceux qui sont prêts à payer plus cher et à consacrer du temps pour venir acheter des produits de la campagne chez le paysan chaque semaine. »

C’est cette réalité que Blaise dénonce dans son livre, ces contradictions qui poussent parfois l’agriculteur désespéré à s’ôter la vie, croulant sous la paperasse administrative, les dettes et le travail qu’il ne peut plus gérer sans être pointé du doigt parce qu’il a recours à des pesticides, à des outils mécaniques spécifiques ou à l’élevage plus intensif… « J’ai retracé le parcours de personnalités qui ont tout donné, tout sacrifié, par tradition et sens du devoir, qui ont vu leur passion décroître en même temps que le prix du lait. »

Qu’en est-il du paradoxe des citadins qui critiquent, certes, mais aussi de ceux qui veulent revenir à la terre ? « C’est une question intéressante. D’une part, il y a celles et ceux qui deviennent paysanne ou paysan sans avoir grandi dans une ferme. Ils amènent d’autres idées, souvent une manière de faire plus collective. D’autre part, il y a les enfants de paysans qui exercent une autre profession avant de revenir à la ferme sur le tard. Là aussi, c’est un souffle vivifiant pour l’agriculture. L’intérêt pour la terre des néoruraux, assez courant durant la pandémie, a également permis de ramener de la conscience en ville. Ces gens ont mis en pratique leurs idéaux, se sont rendu compte des enjeux complexes, économiques, administratifs et de tous ces écueils qui désillusionnent. »

Le retour à la terre des néoruraux, assez courant durant la pandémie, a également permis de ramener de la conscience en ville.

Blaise Hofmann, écrivain

Paysan en colère

Son propos est de recréer un lien par son témoignage, entre le petit producteur et le consommateur. Il reste pourtant très en colère contre le système. Pour lui, c’est là qu’il faut changer les règles, notamment celles de la grande distribution. Et aussi intégrer ces problématiques dans l’éducation des enfants. « Il faut réapprendre les goûts, savoir cuisiner, connaître les ingrédients. C’est aux parents d’effectuer ce travail. On peut rester dans un débat de chiffres, mais il faut revenir aux sensations. Pour ce livre, l’idée était de réussir par l’émotion à comprendre un état, un statut et, par conséquent, à revenir à l’humain. »

Blaise Hofmann prépare un livre pour les 12-16 ans et une traduction allemande de Faire paysan est en préparation. « Si mes filles décidaient de faire un métier en lien avec la terre, j’en serais très content, mais aussi un peu angoissé pour elles. Les paysans ne représentent plus que 1,7% de la population suisse. Il n’y a pas forcément besoin de travailler la terre, il est en revanche nécessaire de chercher à comprendre les choix quotidiens de celles et ceux qui nous nourrissent, celles et ceux qui ont choisi de faire paysanne, de faire paysan. » ■