Tanzanie : Le biocarburant dévore les terres africaines

La plantation de la compagnie SunBiofuel, à 80 kilomètres au nord de Dar EsSalaam (Tanzanie) s’étend à perte de vue. Sur les collines rasées de toute végétation, des dizaines de travailleurs courbés sous le soleil tracent des sillons dans la terre. Ils plantent la précieuse graine : le jatropha.

Dans dix ans, cet arbre fournira ses fruits toxiques dont coulera le biocarburant. L’énergie du futur. Les pays industrialisés encouragent la production de biocarburants pour préparer l’après-pétrole. En 2020, les biocarburants devraient représenter 10% de l’énergie des transports en Europe. Pour parvenir à ce chiffre, on estime que 70% des terres agricoles européennes devraient être converties dans la culture du biocarburant. Un chiffre irréaliste, qui mettrait en péril la sécurité alimentaire du Vieux-Continent. Il faut donc regarder vers les pays en développement et notamment en Afrique. La compagnie britannique SunBiofuel a vu le jour en 2005. L’année suivante, ses dirigeants signaient un contrat avec le Gouvernement tanzanien. Pendant 99 ans renouvelables, Sunbiofuel loue 8 000 ha de terres (la superficie de 12 000 terrains de football) pour seulement 25 000 dollars par an. Au Mozambique, Sunbiofuel possède le double de cette superficie, environ 15 000 hectares.

Ces deux pays sont les premiers Etats africains à avoir attirer les investisseurs étrangers pour le biocarburant. « Nous avons investi 20 millions de dollars en Tanzanie, poursuit Peter Auge. Il faudra plusieurs décennies pour faire un retour sur l’investissement. » Lufthansa, la compagnie allemande de transports aériens, pourrait être le client le plus important de Sunbiofuel, qui compte bien renouveler son contrat après 99 ans. Le jatropha est planté sur ces collines pour plusieurs centaines d’années.
« L’Afrique est le continent idéal pour le biocarburant, se réjouit Bernit Pavitt, président du lobby Jatropha basé en Afrique du Sud. Les terres sont peu exploitées et la main-d’œuvre est très bon marché. » Bon marché, en effet. Les ouvriers de Sunbiofuel sont payés 2,5 dollars pour 9 h de travail par jour.

Un million d’hectares sont aussi disponibles au Congo Brazzaville et Bernit Pavitt tente d’attirer les investisseurs dans ce nouvel eldorado : « Les terres sont régies sous les droits d’usage. Il convient aux chefs de décider ce qu’ils veulent en faire. » En réalité, la propriété des terres appartient à l’Etat dans la majorité des pays africains depuis leur indépendance. Mais elles sont de droit « coutumier », traditionnel, où le chef d’un village décide qui va pouvoir s’y installer. « Il existe un grand vide juridique, explique Sylvie Brunel, géographe à la Sorbonne et spécialiste des questions de développement durable. L’absence de ce concept de propriété privée que l’on connaît en Europe fait que tout est possible. Y compris la spoliation des terres. »

L’Afrique est le continent idéal pour le biocarburant, les terres sont peu exploitées et la main-d’œuvre est très bon marché.

Au Mozambique, l’Union nationale des petits agriculteurs (Uniao nacional de Camponeses) dénonce ces pratiques dans son rapport Le jatropha, un piège socio-économique pour le Mozambique publié en 2009 : « Les grandes compagnies et nos gouvernements profitent des conflits locaux et corrompent les chefs de village pour récupérer les terres sans consulter sa communauté. »

La FAO (Food and agriculture Organisation) estime que 60 millions d’hectares de terres africaines ont déjà été vendues ou louées à des compagnies étrangères, pour le biocarburant ou pour l’agriculture destinée à l’exportation. C’est quinze fois la superficie de la Suisse. Les compagnies de biocarburant se défendent de réduire les cultures vivrières du continent, puisque, comme l’affirme Peter Auge de SunBiofuel : « Il n’y avait rien ici, sauf des arbres et des squatteurs qui venaient faire du charbon de bois. Nous participons au développement du pays en employant 500 personnes. » Mais, dans 99 ans, lorsque le premier cycle de contrat de la compagnie aura expiré, l’Afrique aura dépassé les 2 milliards d’habitants. Les gouvernements devront alors réfléchir à de réels projets d’agriculture pour leurs populations locales. Et, au rythme où vont les choses, il n’y aura peut-être déjà plus de terres disponibles.