Pionnier, le Québec est rattrapé par les nouveaux enjeux de l’identité

Il y a 40 ans, le Québec optait pour l’écriture épicène afin de donner une place égale au féminin et au masculin dans la langue française, coupant court aux arguments de ceux qui voulaient en chambouler sa graphie.

En 2017, pendant que la France ergotait sur le sort de l’écriture inclusive, le Québec assistait, un peu incrédule, à cette guerre de clochers opposant les partisans de la représentation égalitaire des sexes aux Immortels de l’Académie française et autres nombreux défenseurs de l’immuabilité de la langue de Molière.

C’est qu’au Québec, l’affaire est tranchée depuis plusieurs décennies. On ne sourcille guère plus devant la féminisation des titres de ce côté-ci de l’Atlantique. À preuve, les Québécois ont ainsi fait élire en 2012 une « première ministre », votent depuis des lustres pour des « mairesses », des « députées », et ne s’étonnent plus de voir interpeller Madame « la ministre », la « juge », ou la « cheffe de parti ».

Des lobbys réclament l’adoption d’un langage inclusif mettant en avant des pronoms neutres et non ‹ genrés ›.

L’équité, sans tordre les mots

En fait, dès 1979, l’Office québécois de la langue française (OQLF), invité à se pencher sur la représentation des genres dans les textes officiels, statuait en faveur de l’adoption de l’écriture « épicène ». Cette approche linguistique prône la présence égalitaire des genres féminin et masculin dans tous les textes officiels, et l’adoption d’une dénomination féminine de tous les titres associés à une femme. En clair, on ne parle plus désormais au Québec que d’ingénieures, de professeures, de docteures, d’auteures ou même de chercheuses, quand il est question de femmes. En fait, ce parti pris favorise en général l’adoption d’un genre neutre quand le propos le permet, de sorte qu’on préfère désormais « l’humain » à « l’homme », la « clientèle » au « client », et le « personnel » aux « travailleurs » et aux « travailleuses », histoire de donner aux deux genres la même visibilité dans le discours public. Les hauts cris suscités par l’ajout de points médians et des « e » en finale pour marquer le féminin prôné par le controversé manuel scolaire français Hatier n’ont pas fait mouche dans l’Amérique francophone. Car, au Québec, l’obstacle a été contourné en optant pour le doublet, d’avis qu’il était moins irritant pour l’État de parler aux « citoyens et citoyennes » que de s’attaquer à une refonte complète de la langue. L’ajout d’un « e » ou de terminaisons tronquées n’a jamais eu la cote auprès des arbitres québécois de la langue.

L’inclusion, version 2016

Reste que le Québec, à l’avant-garde sur le sujet, n’échappe pas complètement aux nouveaux enjeux venus s’immiscer sur le terrain glissant de la langue inclusive. Cette fois, ce sont les pressions exercées par les organismes de défense des droits des personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres, neutres ou non binaires qui s’attaquent à la rigidité de la langue de Molière.

En effet, ces lobbys réclament maintenant l’adoption d’un langage inclusif mettant en avant des pronoms neutres et non « genrés » comme « iel » ou « ille », par respect pour les personnes trans ou ne s’identifiant à aucun sexe en particulier.

Cette tendance n’est pas sans effet sur les gouvernements en quête de popularité, notamment sur celui du jeune premier ministre du Canada, Justin Trudeau, élu en 2015. Le quadragénaire qui soigne son image d’homme moderne sensible aux minorités, a fait de l’ouverture à la diversité son fonds de commerce.

Mais la conversion au langage inclusif, en anglais et en français, atteint parfois ses limites. Son gouvernement s’est attiré l’an dernier les risées des partis d’opposition quand les fonctionnaires de l’État ont été invités à ne plus aborder les citoyens par les mots « Monsieur » ou « Madame », par respect pour les personnes trans. Mêmes railleries quand le premier ministre, se laissant emporter dans un discours, a laissé échapper le terme « peoplekind » (en lieu et place de « humankind ») pour désigner l’humanité à l’heure de la diversité. Preuve que le débat sur la langue inclusive, qu’on croyait clos au Canada et au Québec pour le féminin et le masculin, n’est jamais vraiment terminé à l’heure de la rectitude politique.

 

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