À Genève, le vin sauvé par la cave

Pilier de la coopérative La Cave de Genève, le vigneron Nicolas Bonnet raconte comment ses membres ont réussi à faire aimer le vin genevois. Et leur sérénité face au défi de la relève et du changement climatique.

Chacun, bien au-delà de la Cité de Calvin, connaît la fondation genevoise qui préfère ne pas être citée. En viticulture, cette attitude empreinte de réserve calviniste est incarnée par un vigneron satignote, qui n’accepte qu’exceptionnellement une interview et toujours pour la bonne cause, celle de la Cave de Genève, jamais pour ses succulents vins vendus avant même d’être produits. Nicolas Bonnet fuit les projecteurs, ne fait aucune publicité, mais chaque Genevois digne de ce nom sait qu’il parle franc, fume la pipe et adore le jazz. Huitième viticulteur de sa lignée (où l’on compte un éminent archéologue membre de l’Institut de France, son père Charles), ce sexagénaire toujours passionné symbolise la montée en qualité de la viticulture genevoise et suisse.

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(La Cave de Genève)
Le vigneron Nicolas Bonnet, huitième viticulteur de sa lignée.

Toujours apprendre

En pleine canicule estivale, dans la fraîcheur de la maison ancestrale derrière laquelle s’étendent les vignes de la Comtesse Eldegarde, Nicolas Bonnet sourit tout en servant un verre de son excellent Chenin blanc : « Tout le monde me demande si la sécheresse n’est pas trop pénible à endurer. Mais avec nos sols argilosilteux, presque pas de problème ! » Selon lui, si Genève ne possède pas le terroir de la Bourgogne, du Bordelais ou même du Valais, les conditions sont parfaites pour accroître sans cesse la qualité, diversifier les spécialités… « Notre sol, bon rétenteur d’eau, permet d’amortir les variations climatiques que nous vivrons de plus en plus fréquemment. Ce qui est important, c’est de considérer que nous devons rester des écoliers : se poser des questions, explorer, étudier ce qui se fait ailleurs », relève notre interlocuteur. Il est bien placé pour en parler, puisqu’il consacre chaque année plusieurs semaines à rendre visite à ses confrères étrangers, notamment français. Ceux-ci, souligne-t-il avec fierté, sont épatés des découvertes qu’ils font du côté de Genève.

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(La Cave de Genève)
Les vignes genevoises au début de l’automne.

De la masse à la qualité

Les questions, dans les vignes genevoises, on se les est surtout posées dès 1982. Cette année de surproduction avait fait exploser le modèle de production massive de chasselas et de gamay, largement destinée à des assemblages dans d’autres cantons suisses. En difficulté, la Cave Vin-Union assurait alors 85% du volume genevois. Tous les vignerons coopérateurs étaient catastrophés et un groupe de professionnels, dont Nicolas Bonnet qui venait de lâcher la mécanique pour reprendre le domaine familial en se formant à la Haute École de viticulture et œnologie à Changins, avaient décidé de monter une association et de créer une AOC. Cette appellation d’origine contrôlée, la première de Suisse, naissait quatre ans avant le fameux arrêté fédéral sur la viticulture. Le dialogue se nouait tant avec les autorités genevoises que fédérales. Les rendements étaient limités, la qualité systématiquement privilégiée. « J’ai diversifié l’encépagement, arraché pas mal de gamay et de chasselas. Surtout, nous sommes parvenus à remonter une cave coopérative. Je crois fondamentalement, en effet, qu’on réussit par une approche collective », dit le vigneron. Aujourd’hui encore, il livre à la Cave de Genève les quatre cinquièmes de sa production. Il a aussi collaboré à la création des « vins de Philippe Chevrier », fameux restaurateur genevois.

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(La Cave de Genève)
Les vignes genevoises au début de l’automne.

Nicolas Bonnet regarde le chemin parcouru et constate que « la nouvelle génération que nous étions a décidé de bifurquer vers la qualité. Comme nous partions en quelque sorte d’une page blanche, tout était à construire. L’union fait la force ! Genève est capable de fournir de très bons vins, dans toutes les catégories ; encore fallait-il le démontrer. Le progrès, comme disait Oscar Wilde, est la réalisation d’une utopie. L’opinion des gens est passée de l’a priori de vins genevois médiocres au commentaire systématique attestant d’étonnants progrès et peu à peu, nous aurons celle de vins délicieux. Mais nous n’avons que trente ans de politique qualitative derrière nous, ce n’est pas Yquem ! En tout cas, je suis sûr que nous pouvons encore monter en excellence. »

Le Genevois note d’ailleurs que dans d’autres cantons aussi, comme Neuchâtel par exemple, la qualité va croissant. Ces trois décennies de travail, de coopération, de mise en valeur et de professionnalisme en annoncent d’autres. Nicolas Bonnet est certain que le pli est pris. « La motivation des jeunes est forte, leur formation dispensée à Changins est d’un très haut niveau. Des stagiaires français, issus de régions viticoles célèbres, viennent en Suisse romande se perfectionner et, contrairement à ce qu’on croit et dit souvent, notre rapport qualité-prix est tout à fait favorable. » Mais le vigneron fronce le sourcil : « Cependant, il faudra éviter le sectarisme, l’égotisme et la division. L’objectif doit rester la renommée de sa région. » Nicolas Bonnet ne se préoccupe pas de certains francs-tireurs démonstratifs ni de la mode des labels : « La mécanisation est un bien ; elle a permis la valorisation du métier. Avec la technologie, elle est garante de l’écologie réelle de demain. Pas besoin partout de récolte manuelle ou de biodynamie. Passons plus de temps à comprendre, à développer, à imaginer, plutôt que de privilégier la forme sur le fond. »

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(La Cave de Genève)
Trente ans de politique qualitative ont redoré le blason du vin genevois.

Manque de reconnaissance

Il y a un point qui a irrité le serein Nicolas Bonnet, c’est lorsque personne ou presque dans les médias (à l’exception du quotidien Le Temps) n’a salué la performance de la Cave de Genève, couronnée en 2021, devant la prestigieuse maison Caran d’Ache, lors de la compétition du Swiss Venture Club. Elle décerne son prix à une entreprise parmi une soixantaine d’un canton, elles-mêmes déjà sélectionnées selon des critères stricts. « Des artisans réunis en coopérative, partis de zéro ou même de moins que zéro, obtiennent cette reconnaissance sur le plan national et on n’en parle pas ! » La Cave a d’ailleurs été récompensée à de nombreuses reprises, en Suisse ainsi qu’à l’étranger. La reconnaissance et la solidarité font partie des principes humanistes qui animent le vigneron. « Vous savez, nous sommes entourés d’éleveurs de vins de terroir. Notre sol et notre climat nous permettent de développer des vins de cépage. C’est un sacré défi et on doit reconnaître ce travail, d’ailleurs exaltant. Ne juge ni ne critique ; examine la valeur, dit le sage. Le dogmatisme m’est insupportable. » ■