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La mie prodigieuse

Les néo-boulangers n’en finissent pas de se multiplier en Suisse romande. Leur défi ? nous faire redécouvrir le pain d’antan au levain et aux farines bio locales, croustillant à l’extérieur, alvéolé à l’intérieur.

En standardisant des denrées produites à grande échelle, la mondialisation a indéniablement aseptisé notre alimentation et uniformisé le goût. En marge de cette approche industrielle, une alternative prend de l’ampleur : la « Craftérisation ». Ce courant revalorise les savoir-faire artisanaux, le fait main, l’origine et la qualité des produits bio et locaux. L’essor des microbrasseries en est un parfait exemple. Le choix des céréales bio, de houblon maison, mais aussi des bactéries et autres levures indigènes redonne vie aux ales au goût plus prononcé. La vente en circuit court est aussi un formidable levier pour échanger en direct avec le producteur, connaître l’origine des produits et les étapes de fabrication. De quoi rassurer un consommateur encore sous le choc des lasagnes à la viande de cheval ou des œufs au fibronil ! Tout comme la bière, le pain connaît une résurrection, avec une pâte pétrie à la main comme autrefois, des levures abandonnées au profit du levain, et des variétés anciennes de céréales, moins riches en gluten. Ces néo-boulangers se montrent aussi innovants avec des recettes gourmandes et inattendues, en vente directe ou via abonnements.

Marc Haller à L’Abergement (VD), Stéphane Rumpf à Saint-Ours (VD) ou encore André Isenegger du four de l’Adde à Cerniat  (FR) sont les pionniers. Depuis, ils ont entraîné une nouvelle génération férue de levain et de farines locales. Jerôme Saugy à Genève (GE), Charlotte Correia du côté de Vevey (VD), Jean-Luc et Suzanne Clément de la ferme de César à Montagny-la-Ville (FR), Stéphane Marguet à Hérémence (VS), Caroline et Fabien Thubert-Richardet à Pomy (VD) ou encore Claudia et François Leuthold à Payerne (VD)… ont ainsi quitté un premier métier pour mettre les mains dans le pétrin. Ils s’approvisionnent à la ferme Arc-en-Ciel, mise en lumière dans le documentaire Révolution silencieuse, ou à celles des Terres rouges, de Pra Charbon, du Petit Noyer ou encore du Domaine de l’Abbaye… qui toutes ont choisi de faire pousser des variétés anciennes, sans intrants, et d’opter pour la meule de pierre pour transformer les grains en farine et conserver les nutriments.

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Jeune entrepreneur, Jérôme Saugy vend ses pains par abonnement avant de les livrer à vélo sur l’agglomération genevoise.

Au départ, la recette est la même. En mélangeant un peu de farine et d’eau et en les laissant à température ambiante, une première fermentation opère spontanément grâce aux bactéries et levures indigènes, présentes dans l’air. Ces bactéries entraînent une fermentation lactique, alcoolique et acétique produisant le graal de tout bon boulanger : un levain-chef. Celui-ci va être nourri, pesé, cajolé comme un bébé ! Pourtant, ce n’est qu’un faible pourcentage qui entrera dans la pâte, juste de quoi faire lever la pâte et lui donner ce petit goût acidulé reconnaissable. Si le levain offre une meilleure digestibilité, les farines participent, quant à elles, à la grande variété d’arômes et des saveurs. « Les terroirs s’expriment dans la vigne, mais aussi dans les céréales, explique Jérôme Saugy. Alors, pourquoi ne pas travailler avec des moutures de Savigny, de Presinge, de Sézenove, de Pomy, etc. Chacune de ces matières a des goûts et des arômes qui sont intéressants à découvrir et à travailler. » Sans parler des autres ingrédients qui peuvent entrer dans les recettes. « Durant l’hiver, j’ai proposé un pain mi-blanc au zaatar et poivre, spécial fondue qui a autant surpris que séduit mes clients. La semaine dernière, c’était un pain de seigle avec une fermentation plus poussée pour avoir un pain plus digeste et avec une conservation plus longue », poursuit le néo-boulanger. En saison, Stéphane Marguet n’hésite pas à glisser dans ces pâtons quelques plantes sauvages comme l’ortie ou l’ail des ours. À la ferme César, on propose une « gourmandise aux fruits » garnie de figues, raisins ou pruneaux, quelques amandes et noix et des épices dans une pâte à la farine d’épeautre.

Quand il n’est pas au four et au moulin, le boulanger cultive ses clients. Certains, comme Jérôme, concoctent même une newsletter, fourmillant d’informations sur l’origine des grains et des farines, sur les cultivateurs, les temps de fermentation comme de cuisson. D’autres favorisent le contact direct. Deux méthodes qui répondent parfaitement au besoin d’authenticité du consommateur.

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