Ne pas désespérer mais agir
Il n’est plus possible aujourd’hui de nier le danger que font courir, non plus seulement aux générations futures, mais aussi à nos contemporains, les monceaux de déchets et de résidus polluants qui se sont accumulés – en un temps finalement très court – sur terre et dans les mers.
Durant des années, d’aucuns ont pu alléger leur conscience en estimant qu’il s’agissait là des « scories de la prospérité », et que, d’ailleurs, les pays dits socialistes polluaient bien plus que le paradis occidental. L’ennui est que, d’une part, le rideau de fer n’existe plus, et que, d’autre part, sa chute a permis de constater qu’une partie des contaminations de ces régions provenait de tonnes de déchets – par exemple les piles usagées – triées par les consommateurs de l’Ouest et… revendues à des « recycleurs » de l’Est qui les déversaient simplement dans la nature. Le même phénomène s’est produit en Campanie italienne, où la Mafia napolitaine enterrait les déchets spéciaux milanais après avoir facturé leur « retraitement » à la Municipalité. Il vient de se rééditer en Malaisie, où des milliers de bouteilles en plastique récoltées en France se sont retrouvés dans les champs et les cours d’eau ; là encore, le « recycleur » était corrompu.
Une illusion répandue est que l’on pourrait « nettoyer » les océans en faisant un petit effort financier. C’est méconnaître l’ampleur de la pollution au plastique, la décomposition progressive en microparticules de ces tonnes de déchets, éléments ingérés par les animaux marins, fixés dans les végétaux, disséminés sur tout le globe et qu’on retrouve même dans les glaces de l’Arctique. Certes, toute initiative pour éliminer les résidus flottant en surface est positive, mais ce sont nos comportements qu’il faut changer, d’urgence. Suremballage, bouteilles d’eau, sacs, gobelets… le recyclage, même dans les pays où il est entré dans les mœurs, n’est ni suffisant ni satisfaisant. La mobilisation des consommateurs que nous sommes apparaît comme la seule solution – partielle, mais au moins crédible – à ce problème si longtemps sous-estimé. Voilà trente ans, les bricoleurs du dimanche pique-niquaient dans la nature avant de faire la vidange de leur voiture sur place. Tempi passati, me dira-t-on. Mais la presse française vient d’annoncer que la moitié des automobilistes de l’Hexagone – ce qui représente des dizaines de millions de personnes – avaient encore coutume de jeter leurs déchets (souvent en plastique) par la fenêtre de leur véhicule. À ce propos, je ne me lasse pas de rappeler que le Rwanda a entièrement banni de son territoire les sacs en plastique depuis 2008 déjà, contribuant à faire de Kigali la capitale la plus propre (et la plus sûre) du continent africain !
Lors d’une conférence organisée par le Groupe SPG à l’issue de l’expédition Ocean Mapping (un tour du monde à vocation scientifique, socio-éducative et culturelle), l’un des acteurs de l’aventure, Pietro Godenzi, a entre autres exposé la situation dramatique des océans criblés de déchets. Mais surtout, après n’avoir celé aucune des difficultés techniques, financières et parfois humaines rencontrées au cours de quatre ans et demi de circumnavigation sur les traces de Magellan, il a démontré qu’il n’avait rien perdu de son optimisme, de sa confiance en l’être humain, de son espérance nourrie de foi en un avenir meilleur. C’est aussi ce que nous avons voulu faire dans le dossier publié dans les pages qui suivent (*). Loin des promesses d’apocalypse imminente, à mille lieues de l’autoflagellation et des théories quasi intégristes et punitives, notre conviction est que l’humanité est capable de prendre conscience des enjeux, de se ressaisir et d’agir sereinement pour faire face avec ingéniosité et talent au défi créé par ses erreurs passées. Aux prophètes de malheur, préférons les lanceurs d’alerte et les porteurs d’espoir.
Edito