La Suisse, pionnière de la médecine durable
Il n’y a pas que le développement qui doit être durable. La médecine peut l’être aussi, pour le bien de tous. En Suisse, les initiatives se multiplient.
Finalement, c’est d’abord une affaire de bon sens. Pourquoi ne pas améliorer, sur le long terme, la prise en charge des patients ? Pourquoi ne pas renforcer le dialogue entre soignants ? Et pourquoi ne pas réaliser au passage de substantielles économies ? Tels sont les objectifs de la médecine dite durable, que le docteur François Héritier, président du Swiss College of Primary Care Medicine définit ainsi : « Une médecine qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »
Chasser l’inutile
« On peut dire que cette prise de conscience vient des États-Unis avec la réforme Obamacare et du Canada », explique le docteur Omar Kherad, médecin-chef du service de médecine interne de l’Hôpital de la Tour à Meyrin, un établissement qui préconise la smarter medicine , un anglicisme désignant une médecine durable plus performante en luttant contre la surmédicalisation et les actes inappropriés. « En Amérique du Nord, poursuit-il, des études ont démontré que 20 à 30 % des actes médicaux réalisés quotidiennement sont inutiles. Est-ce vraiment la peine pour nous de prescrire telle IRM, tels examens sanguins ? Des patients se voient demander de pratiquer trop d’examens, trop de soins sans concertation. C’est aussi cela que nous étudions en Suisse depuis un certain temps avec une prise en considération qui croit d’année en année. »
En Europe, la Suisse fait figure de pionnière. Dès 2012, l’Académie des sciences médicales rédige une « Feuille de route » centrée sur la médecine durable. On y lit notamment que la formation d’un nombre suffisant de professionnels de la santé ainsi que la recherche doivent être absolument encouragées, que « le choix des interventions médicales doit se faire avec mesure », ou que « les prestations médicales dans les domaines de la prévention, du diagnostic, de la thérapie et de la réhabilitation ne doivent être remboursées que si elles satisfont aux critères d’évidence, d’éthique et d’économie. »
Coût de la santé
Deux ans plus tard, en 2014, création du mouvement « Smarter Medicine Choosing Wisely Switzerland » qui va constituer ici la pierre angulaire de la médecine durable. L’association regroupe la Société suisse de médecine interne générale, l’Académie des sciences médicales, la Fédération suisse des Associations professionnelles du domaine de la Santé, la Fédération des patients ainsi que les organisations de consommateurs comme la Fédération romande des consommateurs. Le professeur Jean-Michel Gaspoz, qui exerce à la Clinique des Grangettes à Genève, en est le président. « Une médecine durable est une médecine dont les effets positifs doivent s’inscrire dans la durée, tant sur le plan des personnes ou des individus concernés, que sur le plan sociétal, explique-t-il. Sur le plan individuel, cela veut dire effectuer des tests et des traitements appropriés, qui possèdent une valeur ajoutée pour les patients, en évitant ceux qui sont inutiles ou dont les risques surpassent les bénéfices. Sur le plan sociétal, cela veut dire promouvoir une médecine qui maintienne ou améliore l’état de santé de toute la population sur le long terme, à un coût sociétal acceptable. »
Pour les patients, c’est une médecine de qualité et efficace, qui limite les risques d’effets secondaires ou de complications inutiles. Pour les soignants, c’est pratiquer une médecine performante, médicalement et éthiquement, de même qu’économiquement responsable.
Fin septembre 2020, on apprenait que les primes d’assurance maladie allaient encore augmenter en 2021. « Les coûts de la médecine croissent et la charge des primes d’assurance maladie devient de plus en plus difficile à supporter pour les ménages suisses, reprend Jean-Michel Gaspoz. Une étude de l’OCDE a montré que la Suisse est le pays de cette organisation où la charge concernant la santé est la plus lourde pour les ménages. Tous les acteurs doivent agir pour la limiter, voire la réduire. Or des études récentes ont montré que, comme aux États-Unis, 20 % des prestations de soins en Suisse sont inutiles, voire inappropriées. »
Les trois questions
Quelles solutions appliquer dès lors ? Les deux mots-clés semblent être, en matière de médecine durable, le dialogue et la concertation. « Il y a longtemps eu une forme de paternalisme à l’égard des patients et d’absence d’échanges entre confrères, mais les choses changent », assure Omar Kherad. Un médecin généraliste prend alors les choses en main, tentant d’établir une synthèse, pour un même patient, des différents diagnostics posés par lui-même et les spécialistes.
Histoire de mieux se concerter, d’éviter une surmédicamentation et trop d’examens médicaux. « Plus le patient prend de substances différentes, plus il s’expose à des effets secondaires », reprend François Héritier. On parle enfin d’une nouvelle relation entre patient et médecin, le patient devant davantage oser « challenger » son médecin en osant poser – ce qui n’est pas toujours facile, on en convient – trois questions : « Est-ce que ce traitement est utile ? » ; « Est-ce qu’il existe d’autres solutions ? » ; « Qu’est-ce que je risque si on ne fait rien ? » Tout le monde a à y gagner, estime le professeur Gaspoz : « Pour l’État et les collectivités (par exemple les Cantons), c’est voir les dépenses maîtrisées, ou faites à bon escient. »