L’IVG, un droit à géométrie variable en Europe

Pour les jeunes générations, le droit à l’avortement fait partie des acquis. Pourtant le droit des femmes à disposer de leur corps fait débat aujourd’hui encore dans de nombreux pays d’Europe.

Tentative de déremboursement, de révision des lois, fermeture de centres pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (IVG)… en ces périodes de crise qui redonnent force aux partis conservateurs, le droit à l’avortement, que l’on pensait acquis, se retrouve dans la tourmente. Il n’est d’ailleurs pas reconnu comme un droit européen. La Convention peine à l’intégrer dans ses articles et reste assez floue sur son application. Le droit à l’IVG reste donc une prérogative nationale et conduit à voir fleurir autant de législations que d’Etats membres… En 2008, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé les Etats membres à dépénaliser l’avortement et à garantir aux femmes le droit d’accès à l’avortement sans risque. Mais ce même parlement a rejeté en 2013 le rapport Estrela qui préconisait d’inscrire l’avortement et plus généralement le droit à la contraception dans les recommandations européennes afin que cela fasse partie du droit humain et des droits fondamentaux. Chaque pays se retrouve donc libre d’appliquer la législation qu’il souhaite. Etat des lieux…

Quatre pays plus libéraux

En Finlande comme en Grande-Bretagne, le recours à l’IVG est autorisé si la mère a obtenu le consentement de son médecin et la justification qu’elle encourt un risque pour sa santé. Comme aux Pays-Bas, il est possible outre-Manche d’avorter jusqu’à 24 semaines après les dernières règles ; les Suédois raccourcissent leur délai de recours à 18 semaines et les Finlandais à 16. Mais dans la majorité des autres pays de l’UE, la législation a fixé le délai de recours à l’IVG entre 10 et 12 semaines de grossesse. La France vient de fêter les 40 ans de la Loi Veil et en a profité pour réaffirmer ce droit fondamental à l’Assemblée le 26 novembre dernier. En août, la notion de détresse avait déjà été écartée des textes de la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui n’a pas été sans provoquer quelques remous parmi les parlementaires conservateurs et autres « pro-vie ». Comme en Allemagne et en Belgique, la législation a fixé la durée du délai à 14 semaines à partir des dernières règles. En Italie, l’IVG est autorisée jusqu’à 90 jours, mais la clause de conscience est très souvent invoquée par les praticiens pour justifier un refus de pratiquer l’acte. Le journal La Repubblica dénombre 80% des gynécologues et 50% des anesthésistes et infirmières qui n’appliqueraient plus la loi 194, et le Ministère de la santé a enregistré 20 000 avortements illégaux quand le journal parle plutôt de 40 000 voire 50 000 cas.

Espagne : bref retour trente ans en arrière

Depuis 1985, l’Espagne était au diapason de la majorité de ses partenaires européens, mais en décembre 2013, elle a bien failli faire volte-face. Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a approuvé le projet de loi élaboré par son ministre de la Justice, Alberti Ruiz-Gallardòn, qui visait à réduire drastiquement le droit à l’avortement en cas de viol ou de danger pour la santé physique ou mentale de la femme. La malformation du fœtus ne constituera plus une raison valable sauf si ses chances de survie sont trop faibles. Après plusieurs mois de débats et des milliers de manifestants contre ce projet dans les rues, le gouvernement espagnol s’est vu contraint de retirer ce texte le 23 septembre 2014. En Suisse, la législation dépénalise l’IVG dès 1942 en cas de danger pour la vie de la mère, mais il faut attendre 2002 pour qu’une nouvelle réglementation introduise le régime du délai de 12 semaines, comme au Danemark, en Norvège et dans la plupart des pays de l’Est et des Balkans. En 2013, l’initiative de l’association « Mamma », composée de membres de l’UDC, du PDC, du PEV et de l’UDF, « Financer l’avortement est une affaire privée » a été rejetée par près de 69,8% des votants. Les IVG continueront donc d’être remboursées par l’assurance-maladie.

Portugal et Luxembourg en route…

En février 2007, les Portugais se sont prononcés sur la question par référendum. Il a réuni 59,3% en faveur d’une dépénalisation contre 40,8% de « Non ». En mars 2007, le parlement a adopté un projet de loi légalisant l’avortement à 10 semaines à partir des dernières règles, sur demande de la femme. Autorisé mais très encadré depuis 1978, le droit à l’IVG a été assoupli au Luxembourg en 2012. Mais les lourdes démarches administratives et autres consultations en font un vrai parcours du combattant.

Irlande, Pologne et Chypre à la traîne…

Trois pays de l’Union européenne autorisent le recours à l’avortement avec une législation stricte. Dans sa Constitution de 1983, l’Irlande interdit le recours à l’IVG. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné le pays en 2010 pour avoir contraint une femme atteinte d’un cancer et qui craignait qu’une grossesse n’aggrave son état à aller subir un avortement à l’étranger. Il faudra attendre octobre 2012 et le décès de Savita Halappanavar, une mère victime d’une septicémie lors d’une fausse couche pour que le pays revoie sa copie. En juillet 2014, la législation s’est légèrement assouplie, en autorisant l’IVG en cas de risque avéré pour la vie de la mère. Le coût de l’acte reste à la charge du demandeur. Autre bastion catholique de l’Union européenne, la Pologne se montre aussi très restrictive. Après avoir été autorisé pendant plus de quarante ans, l’avortement est condamné par la législation de 1993, sauf si la vie ou la santé de la femme enceinte est en danger, si la grossesse résulte d’un acte criminel ou si le foetus est mal formé. Cela n’a pas empêché un médecin, en juin dernier, de refuser un avortement à une patiente dont le fœtus, touché par plusieurs malformations, était non viable. Dans sa loi de 1974, amendée en 1986, Chypre autorise l’IVG uniquement en cas de viol ou sur indications médicales.

Sur l’île de Malte, l’avortement reste strictement interdit sauf en cas de viol, ou d’anomalies constatées du fœtus.

Condamné à Malte

Sur l’île de Malte, l’avortement reste strictement interdit sauf en cas de viol, ou d’anomalies constatées du fœtus. Il est considéré comme un délit et donc passible de 18 mois à 3 ans d’emprisonnement. Un protocole annexé au traité d’adhésion de Malte à l’UE garantit aux Maltais que la législation européenne actuelle ou future ne pourra modifier leur loi nationale sur l’IVG, ni en affecter l’application chez eux.

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