L’Homme des droits est sacré

Avec ses deux jambes bien droites soutenant une solide barre transversale, quel beau gibet il fait, ce H majuscule ! Voilà trop longtemps, disent les militantes – mais pas qu’elles –, qu’on y pend le droit des femmes à ne plus être « exclues de l’universalité ».

Il est la lettre qui coiffe aujourd’hui l’« Homme » dans le titre de la « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ». Dans la version initiale du texte, telle qu’elle fut discutée tout au long de l’été 1789, ce H-là était banalement minuscule. Ce n’est que bien plus tard, en prenant une majuscule, que « l’Homme » devint générique et qu’il eut la prétention de désigner l’ensemble du genre humain, femmes et hommes confondus. Simple supercherie grammaticale et typographique qui dissimule bien mal l’outrage infligé aux femmes par l’Assemblée constituante.

En 1789, en effet, les représentants du peuple ne discutèrent que des droits de ceux qui sont hommes, au sens le plus strictement physiologique du terme.

Les femmes aux oubliettes

Mineures par nature, les femmes sont alors, tout comme les esclaves, exclues du corps social. Elles ne peuvent disposer de droits ; la Révolution ne leur en accorda donc aucun.

Le 3 novembre 1793, la tête d’Olympe de Gouges roule dans la poussière de la place de la Révolution. L’exécution suit immédiatement un procès inique au cours duquel les procureurs révolutionnaires ont pu exprimer toute la haine qu’ils éprouvent pour l’accusée. Ils ne pardonnent pas à leur victime d’avoir rédigé et publié une « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». Ce texte est une réponse à l’injustice subie par les femmes. Dans son manifeste au féminin, Olympe de Gouges ne réclame aucun droit spécifique pour celles dont elle porte les espérances. Elle ne demande qu’une stricte égalité entre hommes et femmes. L’article X de la Déclaration des droits de la femme en résume parfaitement l’esprit : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune. »

Il fallait être inconsciente pour évoquer le spectre de la guillotine devant Robespierre et Fouquier-Tinville. Quelques jours après la décapitation d’Olympe de Gouges, la Feuille du Salut Public se réjouit ainsi de son supplice : « Olympe de Gouges, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle voulut être un homme d’État et il semble que la Loi a puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »

« La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » ne pouvait qu’être l’œuvre d’une folle et l’on se hâta de la jeter aux oubliettes. Ce n’est qu’en 1986 que l’écrivaine Benoîte Groult en proposera une réédition complète. Entre-temps, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen était devenue le texte le plus sacré de la République française. Demander qu’on en change une phrase, un mot, une lettre seulement est un blasphème.

Un texte sacré

En France, les droits resteront ceux de l’Homme et ne deviendront jamais humains. L’exemple de la Suisse et du Canada est ignoré. L’Académie française veille. Tout comme les grands noms de la littérature, coalisés avec tous les gouvernements qui se sont succédé depuis que des femmes ont commencé à demander la rédaction d’une « Déclaration des Droits humains des citoyennes et des citoyens. »

Un tel changement ne ferait finalement que mettre la France en phase avec les pays qui ne connaissent que les « human rights » ou les « derechos humanos ». Mais la République s’arc-boute : la France doit rester le « pays des droits de l’Homme » quitte à désespérer une grosse partie de la moitié de sa population.

La féminisation des textes fondateurs de la République représente un « péril mortel » pour la Nation, estiment les Académiciens, unanimes. Ce serait, en effet, admettre que sous la pression des groupes, des communautés, des intérêts des uns ou des susceptibilités des autres, il serait possible de réécrire les textes qui garantissent la cohésion de la nation française, depuis la Révolution. Il ne faut rien céder donc, au risque de tout voir s’effondrer.

Cet argument fait des femmes une « catégorie parmi d’autres », objectent toutes celles qui se sentiraient mieux accueillies dans une maison nationale commune où seraient énoncés pour être défendus les droits humains et pas ceux de l’Homme. Être une femme, ce n’est pas être d’une religion, ce n’est pas appartenir à une communauté, ce n’est pas adhérer à une vision spécifique du monde. Être une femme, c’est être un-e humain-e disposant sans aucune ambiguïté de tous les droits humains.

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