Les quotas fonctionnent… quand ils sont obligatoires

En Allemagne, les quotas mis en place en 2016 pour les conseils de surveillance des grandes entreprises ont été effectifs. Mais les progrès sont encore trop lents là où il n’y a pas d’objectifs imposés par la loi, comme on l’observe dans les médias ou le cinéma.

L’instauration d’un quota de 30% de femmes dans les conseils de surveillance des grandes entreprises en 2016 en Allemagne a porté ses fruits. À la fin de l’année dernière, la proportion de femmes dans les conseils de surveillance des 105 entreprises soumises à cette législation atteignait 31,4%, selon une étude publiée par l’Institut économique de Berlin (DIW)1. L’effet s’est même fait sentir dans les sociétés qui n’ont pas d’obligation légale à respecter ce quota puisque la proportion de femmes dans les conseils de surveillance des 200 premières entreprises allemandes a atteint 24,6% fin 2017, contre moins de 20% en 2015 et moins de 10% dix ans auparavant.

Les pressions politique, sociale et économique ne sont pas suffisantes pour faire changer les pratiques.

Par contre, « l’évolution de la proportion de femmes dans les directoires est quasiment à l’arrêt », soulignent Elke Holst et Katharina Wrohlich, les auteures de cette étude du DIW. En l’absence de quotas imposés, cette proportion a stagné autour de 8% entre 2016 et 2017 dans les 200 premières entreprises allemandes. Les deux expertes constatent d’ailleurs que si l’évolution de cette proportion continue sur le même rythme observé depuis dix ans, cela prendrait soixante-cinq ans pour que la parité soit atteinte dans les directoires des sociétés allemandes ! Pour ce qui est des conseils de surveillance, il faudrait encore seize années pour atteindre 50% de femmes.

Fixer des objectifs chiffrés

Force est donc de constater que l’heure n’est pas encore à la parité dans les postes de direction en Allemagne, que ce soit dans les entreprises, les médias ou encore le cinéma. Tous les six mois depuis 2012, l’association ProQuote Medien calcule la proportion de femmes parmi les directions éditoriales des huit principaux journaux et magazines allemands. Début 2018, seuls deux médias, l’hebdomadaire Der Spiegel et le quotidien Die Zeit, étaient au-dessus de la barre des 30%, avec respectivement 37,5% et 35,1% 2. Deux autres médias, le journal Bild et le magazine Stern, se situaient, quant à eux, juste en dessous des 30%. C’est certes bien mieux qu’en 2012, quand Der Spiegel n’était qu’à 5,9 % et que le meilleur élève était Die Zeit, avec 21,7%. Mais c’est toujours insuffisant, selon ProQuote Medien. C’est pourquoi cette association a décidé de mettre la barre plus haut : depuis mai 2018, elle réclame non pas 30% mais 50% de femmes dans les équipes de direction des médias. « Les pressions politique, sociale et économique ne sont pas suffisantes pour faire changer les pratiques. Les hommes ont tendance à soutenir les hommes et si nous ne brisons pas ce cercle vicieux, les dirigeants masculins choisissent des hommes pour leur succéder. Selon nous, la parité n’est pas possible sans fixer des objectifs chiffrés, explique la présidente de l’association, Maren Weber. Nous avons besoin de quotas pour accélérer les changements. » Cette conviction est partagée par l’association ProQuote Film, qui plaide en faveur de la parité dans l’industrie du cinéma. « Il est urgent d’établir un quota obligatoire pour les femmes. C’est le seul moyen réaliste d’atteindre l’égalité », juge ainsi Barbara Teufel, réalisatrice et membre du conseil d’administration de ProQuote Film.

Persistance des stéréotypes

Selon elle, « tous les engagements volontaires pris par les différents acteurs de l’industrie du cinéma sont restés lettre morte et la situation s’est même détériorée depuis les années 1980. » Aujourd’hui, alors que la parité est quasiment atteinte dans les écoles de cinéma, les femmes sont encore largement minoritaires une fois sur le marché du travail. Une étude menée par l’Université de Rostock et l’Institut Fraunhofer pour les chaînes de télévision publiques ARD et ZDF, montre ainsi qu’entre 2011 et 2015 seules 14% des productions audiovisuelles ont été réalisées par des femmes3. Les principales raisons d’un tel écart sont la persistance des stéréotypes, selon lesquels les métiers du cinéma sont jugés plus « masculins », ainsi que l’aversion au risque qui caractérise cette industrie, les projets menés par des femmes étant considérés comme « plus risqués ».

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