Les Pouilles, un paysage convoité

Une terre ocre où se dressent fièrement les oliviers séculaires, des murs en pierres sèches qui s’étendent sur des kilomètres, les cônes des trulli qui fendent l’horizon. Les Pouilles offrent un décor unique et convoité. Certains n’hésitent pas à dérober ces trésors en toute illégalité pour s’enrichir. Mais les pouvoirs publics ont décidé de mener la vie dure aux « voleurs de paysage ».

Baignés par le soleil, choyés par la main de l’homme, nourris par une terre ocre et calcaire, les oliviers séculaires exhibent leurs troncs noueux et massifs à perte de vue sur le littoral apulien. Ces milliers d’arbres, sculptures étonnantes façonnées par la nature, sont des œuvres d’art recherchées. « Au marché noir, un olivier peut atteindre 15 000 euros », précise Marino Martellotta, fonctionnaire du Corps forestier italien. Un mètre cube de chianche, pierres sèches typiques des Pouilles, s’échange contre plusieurs centaines d’euros. Les acheteurs ? Bien souvent des propriétaires de villas situées au nord de l’Italie ou à l’étranger. « Malheureusement, dans la plupart des cas, les oliviers replantés dans d’autres régions deviennent secs et meurent rapidement », déplore Marino Martellotta. Pendant des années, des véhicules chargés d’oliviers ont arpenté en toute impunité les routes des Pouilles. Mais ces derniers temps, les pouvoirs publics ont décidé de réagir et, de l’avis général, les vols ont diminué. Sur le terrain, les forces de l’ordre se montrent intraitables : « Dès que nous surprenons un individu suspect en train de charger des pierres ou un olivier, il est immédiatement arrêté », tranche le lieutenant-colonel Fabio Ottaviani, qui chapeaute les carabiniers de la province de Bari.

Un paysage protégé par la loi

En 2007, les Pouilles ont promulgué une loi pour protéger ce patrimoine exceptionnel. Il est désormais interdit de vendre, de déraciner ou de déplacer les oliviers séculaires. Les
contrevenants s’exposent à des sanctions pénales et à une amende salée : 3 000 euros par plante endommagée. Un recensement a commencé pour identifier les arbres monumentaux. Les murs en pierres sèches sont également soumis à des normes paysagères très strictes.

Un olivier peut atteindre 15 000 euros au marché noir.

Phénomène souterrain

Phénomène souterrain, le vol de paysage s’opère dans la discrétion. Les plaintes sont rares, car les victimes et les pillards ont parfois le même visage. Des agriculteurs ou des propriétaires de parcelles « cèdent » des pierres antiques ou quelques oliviers séculaires pour gagner un peu d’argent. La précieuse marchandise est écoulée par des paysagistes, des pépiniéristes ou des gérants d’entreprises de construction peu scrupuleux. Malheureusement, l’appât du gain et le trafic illicite ne sont pas les seules menaces qui planent sur ce paysage. L’indifférence des habitants est dévastatrice. Des oliviers séculaires sont régulièrement abattus pour faire du bois de chauffage, des murs sont détruits abusivement, car ils compliquent l’accès aux champs. Les associations de défense de l’environnement déplorent ces dégâts irréparables : « Les murs en pierres sèches, par exemple, assurent un rôle essentiel dans le drainage des eaux. Leur vol ou leur destruction n’occasionne pas seulement un dommage esthétique, il accroît le risque d’inondations », fustige Gianfranco Algieri, président de Legambiente Puglia.

Les trulli, un exemple à suivre ?

Tout n’est pas perdu. Il suffit parfois d’un coup du sort pour faire changer les mentalités. En 1996, les trulli, ces habitations de pierres aux toits coniques, ont été classés au patrimoine mondial de l’Unesco 1. « Sans cette initiative, je pense que les trulli auraient tous disparu », professe Gianfranco Algieri. « La filière des vols de trulli était très bien organisée : ils étaient entièrement démontés pour être remontés ailleurs. Mais grâce à l’Unesco, les habitants ont pris finalement conscience de leur valeur », se félicite le président de Legambiente Puglia. Les trulli, sources de profits, sont désormais étroitement surveillés. Beaucoup ont été restaurés et transformés en résidences de charme, prisées par les touristes. Cet exemple de valorisation économique et culturelle commence à faire des émules. Des producteurs ont récemment commercialisé avec succès une huile d’olive issue des arbres centenaires. Et sur Internet, une pétition circule depuis quelques mois pour inscrire les oliviers séculaires des Pouilles au patrimoine mondial de l’Unesco 2.

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