Les Hommes de marbre sont bien seuls

À Londres et à Glasgow, deux statues de femmes ont été érigées en 2018. Ces monuments restent extrêmement rares dans un paysage dominé par les figures masculines. Mais un mouvement est en marche en Europe et aux États-Unis.

Sur Parliament Square, face au siège du parlement britannique, depuis le printemps dernier, une femme scrute sans ciller l’imposante silhouette de la statue de Winston Churchill, héros de la Seconde Guerre mondiale et opposant au droit de vote des femmes. Entre ses mains, une pancarte proclame : « Partout, le courage appelle le courage. »

Millicent Fawcett est une figure clé de l’histoire politique du Royaume-Uni. Pendant cinq décennies, entre 1868 et 1929, cette Anglaise s’est battue pour le suffrage universel. Son combat a abouti en 1928. Pourtant, sans la détermination de la militante féministe Caroline Criado-Perez, aucun monument public britannique n’honorerait la mémoire de cette suffragette. Aucune statue de femme ne se dresserait non plus au centre du quartier où bat le cœur de la vie politique du pays.

Un tournant dans la représentation des femmes

C’est en faisant son jogging, le 8 mars 2016, lors de la Journée internationale des droits des femmes, que la journaliste a été frappée par la domination masculine qui règne sur la place située à un jet de pierre du Palais de Westminster. Caroline Criado-Perez a alors lancé une pétition en ligne. Avec l’appui du maire de Londres, Sadiq Khan, et le soutien du gouvernement, le 24 avril dernier, un bronze de 2,5 mètres de haut représentant Millicent Fawcett à l’âge de 50 ans a été érigé sur Parliament Square. Pour Caroline Criado-Perez, cette statue doit marquer un tournant dans la représentation des femmes dans l’espace public britannique. La militante des droits des femmes estime qu’environ 97 % des monuments publics du Royaume-Uni sont consacrés à des hommes. Dans un pays où un tiers des députés sont de sexe féminin – un record dans l’histoire du pays – les symboles continuent d’avoir leur importance, affirme Caroline Criado-Perez. Car, selon elle, « si les femmes ne se voient pas représentées (ndlr, dans l’espace public), elles continuent de ne pas se prendre suffisamment au sérieux ».

Les autorités des grandes villes sous pression

Cette conviction est partagée par un nombre croissant de défenseuses et défenseurs des droits des femmes à travers le monde. Dans les métropoles européennes, ainsi qu’à New York, les initiatives se multiplient pour accorder aux figures historiques de sexe féminin la même reconnaissance dont bénéficient les hommes. À Sofia, au printemps 2017, l’artiste Erka a dénoncé le caractère invisible de la moitié de la population de la capitale de la Bulgarie. Avec l’appui d’une organisation de défense des droits humains, elle a pris l’initiative d’installer sept bustes la représentant à différents endroits de la ville qui ne comptent aucun monument en hommage aux femmes. « Avec ces sculptures, je représente chaque femme, avait alors expliqué Erka. Avec cette oeuvre, je veux donner aux femmes qui le méritent une place, une visibilité et une reconnaissance qui leur ont été refusées pendant des décennies. » À New York, les femmes ne sont guère plus représentées qu’à Sofia. La métropole américaine de 8 millions d’habitants compte cinq statues qui rendent hommage à des femmes qui ont existé, soit 140 de moins que les statues qui honorent des hommes. En revanche, grâce à une campagne de longue haleine menée par des militantes féministes, en août 2020, deux statues de suffragettes américaines doivent toutefois être installées à Central Park, où n’est érigée pour l’instant aucune statue de figures historiques de sexe féminin.

97% des monuments publics du Royaume-Uni sont consacrés à des hommes.

Central Park : 23 hommes, 0 femme

L’intérêt suscité par cette initiative citoyenne a donné des idées à la mairie de New York. En juillet dernier, les autorités de la ville ont annoncé un programme d’action baptisé « She Built NYC » (ndlr, elle a construit New York City). Il doit aboutir à la création de nouveaux monuments commémoratifs et bénéficier d’un budget de 10 millions de dollars. Pour autant, les statues des suffragettes de Central Park ne seront pas financées sur les deniers publics. C’est le souhait de Pam Elam, présidente de Monumental Women. Cette féministe espère inspirer ainsi d’autres actions citoyennes similaires. « L’histoire des femmes est une malle remplie d’histoires inspirantes, a-t-elle déclaré au Guardian début août. Elle nous donne le courage de continuer à nous battre pour les droits des femmes (…). »

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