Le parking : une plaie dans le paysage urbain de Montréal

« Le parking n’est pas un droit garanti par la constitution, c’est un privilège. Est-ce que des citoyens demandent à la ville de leur fournir un placard pour ranger leurs chaussures ? » Cette déclaration du maire de Bogotá, Enrique Peñalosa, de passage à Montréal en 2006, avait créé une onde de choc dans une métropole encore obnubilée par l’auto-mobile.

Négligée pendant des lustres, la gestion de l’offre de stationnement est soudainement apparue comme un levier évident pour doter l’agglomération canadienne de plans de transport collectif et de développement branchés sur le troisième millénaire.

La voiture toute puissante

Dans la plupart des villes du Canada, la voiture a encore tous les droits. Bien que la plus grande part modale dédiée au transport collectif au pays après Toronto échoit à Montréal, pas plus de 35 % des déplacements s’y effectuent en bus ou en métro aux heures de pointe. Cette proportion chute de moitié une fois franchis les 23 ponts et tunnels qui séparent la métropole des banlieues, et plonge à 7 % en zones périurbaines !
Tout cela en partie parce que les parkings de surface prolifèrent, couvrant l’équivalent d’une superficie pavée de 50 km2 seulement à Montréal. Les structures étagées ou souterraines qui accueillent à fort prix les automobilistes ne se retrouvent qu’au cœur du centre-ville. Dans ce paradis pour motorisés, la plupart des navetteurs voyagent en solo et trouvent à se garer au centre des affaires sans avoir à débourser une fortune pour la journée.

Montréal compte seize fois plus de parkings en surface que New-York.

Question de coûts

Avec 85 % à 90 % d’espaces de stationnement accessibles gratuitement dans la grande agglomération, la profusion du parking de surface est considérée par ses détracteurs comme une plaie urbaine, une subvention injuste accordée aux automobilistes. « Hors du centre-ville, la tarification n’existe pratiquement pas. C’est un coût caché pour l’ensemble de la société qui se répercute non pas sur les propriétaires de voitures, mais sur l’en-semble des contribuables par le biais du coût des loyers (taxes foncières) et des hypothèques », estime Paul Lewis, professeur à la Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal.
Les coûts collectifs annuels du stationnement de surface s’élèveraient à deux milliards d’euros dans la région métropolitaine, si l’on tient compte des frais d’exploitation (réparations et déneigement) et des pertes en taxe foncière. Montréal compte deux fois plus de parkings en surface que Toronto et 16 fois plus que New York, preuve tangible que le coût pour garer un véhicule est loin d’être assez prohibitif pour encourager la conversion des parkings à d’autres usages ou modifier les habitudes de transport des citadins. « Peu de gens paient le parking à sa juste valeur, soit l’équivalent de 300 euros par mois pour le centre-ville de Montréal », insiste Daniel Bouchard, spécialiste du transport urbain et de l’aménagement du territoire.

La méthode dure envisagée

Dans ce royaume du tout voiture aux pistes cyclables, des mesures isolées commencent toutefois à poindre. Dans le populaire quartier du Plateau, plusieurs espaces de stationnement ont été éliminés pour accroître la sécurité des piétons et verdir les rues. Le nombre de places permises dans les nouveaux projets d’habitation a été réduit au minimum par le nouveau plan d’urbanisme. Des voies cyclables ont fait éclosion le long d’une demi-douzaine d’artères du centre-ville, ainsi qu’un système de vélos en libre service, utilisé par quelque 31 000 abonnés. Environ 30 000 cases de parking, installées en tête de ligne des métros, et un système d’autopartage pourvu d’une flotte de 1 000 véhicules ont commencé à endiguer l’invasion de la voiture au cœur de Montréal.
Mais plusieurs pensent que seule la méthode dure poussera plus d’automobilistes à bouder le volant. « Il faut en augmenter les tarifs. Mais ce genre d’opération doit être pensée à l’échelle métropolitaine afin d’éviter de désavantager les zones centrales au profit des zones périphériques », insiste le professeur Lewis.
La prolifération des « power centers », ces centres commerciaux pachydermiques qui pullulent aux carrefours des autoroutes, posent en effet une menace de plus en plus sérieuse aux commerçants des centres-villes nord-américains. Ces derniers voient d’un très mauvais œil tout nouvel obstacle susceptible d’attirer les citadins vers ces paradis de la consommation où le stationnement est… gratuit !

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