Le genre le plus noble

Dieu créa la femme. Et l’Académie la rendit invisible au nom du principe que le masculin est toujours le genre « le plus noble ».

À partir du milieu du XVIIe siècle, la grammaire et le langage se masculinisent. Le but est de dépouiller les femmes du pouvoir intellectuel et politique que nombre d’entre elles ont exercé au cours des siècles précédents. On veut empêcher que la puissance de l’État, comme celle de l’esprit s’incarnent de nouveau dans des figures aussi imposantes que Catherine et Marie de Médicis.

Richelieu, en créant l’Académie, entend réformer et uniformiser la langue française. Mais le redoutable cardinal espère également rendre intellectuellement impensable, inexprimable, une éventuelle prise de pouvoir par Anne d’Autriche, son ennemie jurée.

Lettrés et Immortels vont donc créer une sorte de « Novlangue ». L’accord de proximité est mis hors la loi. On n’écrira plus « le coeur et la bouche ouverte ». Les formes féminines des noms de professions ou de fonctions que l’on estime réservées aux hommes disparaissent. Le français ignore désormais (ou se moque) des philosophesses, des médecines, des autrices et des peintresses.

Enfin, on interdit la déclinaison en genre du pronom personnel attribut. La tirade d’une héroïne de Beaumarchais qui déclamait : « J’étais née pour être sage et je la suis demeurée longtemps. » devient une faute, un charabia ridicule. Madame de Sévigné s’attire les remontrances d’un goujat qui se plaint d’être enrhumé quand elle lui rétorque : « Je la suis aussi ! » « Il me semble, Madame – corrige l’indélicat – que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis, aussi. » « Vous direz comme il vous plaira – répond la comtesse – mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement. »

Si la nouvelle règle sur l’accord du pronom n’avait pas été édictée, la fameuse phrase de Simone de Beauvoir aurait été : « On ne naît pas femme, on la devient. »

Les mots, nos images mentales

Aucun outil n’est plus efficace que la langue pour forcer le destin des femmes selon les désirs et les besoins des hommes. Les mots comme on les prononce, comme on les écrit et les agence créent des images mentales qui, à leur tour, tracent les limites du licite et de l’interdit, du tolérable et de l’insupportable en matière de relations entre les sexes.

Le français est un « androlecte », affirment les révoltées, c’est-à-dire que depuis quatre siècles au moins il « vectorise la domination masculine. » La langue donne forme à une pensée. Les mots sont des Pygmalion qui sculptent l’image de la femme mineure et de la femme proie. En changeant la langue, on refondera les rapports des femmes et des hommes. « Toute révolution devrait commencer par une réforme du dictionnaire », tonnait Victor Hugo.

L’égalité réelle entre les sexes adviendra quand elle ne sera plus niée par les mots et la grammaire par lesquels elle devrait être exprimée et imposée. De ces révolutions langagières – celle de l’écriture inclusive, par exemple – on attend qu’elles libèrent les femmes de leur statut d’inférieures ou de proies. Avec de nouveaux mots, avec des phrases différemment agencées, les hommes devront apprendre à parler et à entretenir des relations avec un être totalement inconnu : leur-e égal-e absolu-e.

Les hommes d’aujourd’hui ne devraient pas s’inquiéter de cette rencontre du troisième type. D’autres générations ont vécu un séisme social, amoureux et – pourquoi ne pas l’évoquer – érotique ?

Courtoisie 2.0

Ce que nous appelons aujourd’hui la galanterie n’est en fait que l’écho d’un bouleversement des moeurs qui s’est produit au XIIe siècle, à une époque où il devenait indispensable de « discipliner le désir masculin ». On établit alors les règles de l’amour courtois que les troubadours vont diffuser dans toute l’Europe. La femme idéalisée devient la Dame, celle pour qui l’on peut sacrifier sa vie pour la protéger. L’homme ne devient véritablement noble que lorsqu’il respecte les faiblesses inhérentes au grand malheur d’être née femme.

Mais cette dévotion enferme celles qui en sont l’objet dans le donjon de la dépendance et de la pureté sanctifiée. La galanterie n’est que du « sexisme inversé » tout aussi odieux que le « virilisme » à l’esprit de celles-ceux qui luttent pour l’avènement d’une égalité réelle.

La véritable politesse c’est la neutralité absolue. La courtoisie c’est apporter son aide à un-e humain-e si iel en a besoin et uniquement dans le but d’aider un-e égal-e. Ni brutes ni soumises, tous-tes humain-es, tous-tes égal-e-s.

Iels (ils-elles) n’appellent pas à la guerre des sexes mais à « érotiser l’égalité ». Ainsi, tout-e un-e chacun-e accédera à une « sérénité sexuelle » quand auront été brisées les chaînes qui attachent femmes et hommes à l’archaïque modèle de la domination.

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