Le rat des villes dévorera-t-il le rat des champs ?

Rat des villes contre rat des champs, le dualisme est fort ancien – La Fontaine n’aurait-il pas emprunté son thème à un rhéteur grec du IVe siècle ? – mais la question prend évidemment une ampleur nouvelle à l’heure de la mondialisation, des OGM, de la croissance démographique, et de la faim toujours loin d’être éradiquée dans le monde.

L’actualité genevoise a été assez largement occupée par le rapport entre l’agriculture et la pression urbaine, notamment à travers la votation du déclassement de la zone agricole des Cherpines. Et si le verdict populaire a temporairement clos le débat, bien des questions de fond demeurent. La tendance est parfois à la caricature dans ce domaine, en occultant le fait que les opposants au mitage du territoire ne sont pas forcément que des « écolos romantiques » équipés de chaussures en pastèque, de montres-bracelets en peau de banane et de ceintures en cornichons1… Pour preuve, la préoccupation exprimée par Norman Foster, selon lequel le grignotage du territoire en Suisse romande porte atteinte « au fragile équilibre entre villages et nature »2, en relevant également que « l’urbanisation » (si tant est que la zone mérite ce terme !) le long de l’autoroute Genève Lausanne est chaotique et inesthétique, et met en évidence « un manque dans l’aménagement du territoire ».

D’ailleurs, le monde agricole (voir les interviews de notre dossier, pp. 25 à 33) est pragmatique, et ne dénonce pas tant la pression sur la zone agricole que la sous-densification, le gaspillage du territoire. Et il est hélas incontestable que, pour le monde politique, il est plus facile et moins risqué de puiser dans la zone agricole que de densifier un quartier de villas. D’où la nécessité de prévoir des garde-fous, en se rappelant qu’il ne s’agit pas seulement, pas forcément, de protéger le monde agricole ou les paysages, mais aussi de préserver ce qui fait l’attractivité, y compris économique, de notre pays…

Le débat, cela dit, ne porte pas que sur les conditions de l’urbanisation et l’aménagement du territoire. Le volet international de notre dossier (pp. 35 à 40) met en lumière d’autres enjeux et problématiques essentiels, de la redistribution des terres en Afrique du Sud, à la question du contrôle des investissements étrangers en Australie ou en Nouvelle-Zélande (eh oui, il n’y a pas que la Suisse à se soucier d’une éventuelle mainmise étrangère sur son territoire !), en passant par la sécurité alimentaire. Sans oublier un petit clin d’œil rafraîchissant avec « l’agriculture 2.0 » pratiquée en pleine ville de Montréal, sous la forme de potagers sous serre sur des toits d’immeubles qui permettent tout de même de nourrir quelques milliers d’habitants avec des produits de proximité.

Nous n’avons pas la prétention de traiter, de façon exhaustive dans notre dossier, cette vaste problématique, mais simplement d’en éclairer certains aspects, et de rappeler qu’elle nous concerne tous. Elle devrait en tout cas dépasser les clivages gauche-droite ou encore « pro » et « anti-développement ».