La violence en ligne est une violence facile
La violence en ligne contre les femmes inquiète de plus en plus. Manon Schick, directrice générale d’Amnesty International, dénonce l’impunité
qui entoure ce problème.
Interview.
Du harcèlement à l’humiliation publique, en passant par la volonté de porter atteinte à l’intégrité physique, les menaces sont nombreuses pour les femmes du monde entier. 23 % des femmes ont déjà subi au moins une fois dans leur vie une forme de harcèlement ou des violences sur Internet. C’est ce qui ressort du sondage publié par Amnesty International en 2017, réalisé sur des femmes de 18 à 55 ans dans huit pays (Danemark, Italie, Nouvelle-Zélande, Pologne, Espagne, Suède, Royaume-Uni et États-Unis). Manon Schick, la directrice générale de l’organisation non gouvernementale internationale, s’inquiète de ce problème grandissant.
Il existe sur les réseaux sociaux une violence rapide et différente de celle observée dans la rue.
– Manon Schick, comment se positionne Amnesty International sur la problématique de la violence en ligne contre les femmes ?
– Cette question s’inscrit dans le cadre du travail que nous menons sur la violence à l’égard des femmes de manière générale. Nous constatons que les femmes subissent discrimination et violence dans différents espaces, mais celui des réseaux sociaux offre une forme d’impunité. Très souvent, ces victimes ne dénoncent pas ces agissements, car il est compliqué de remonter à la source des commentaires anonymes. Lors de nos recherches, nous avons également constaté que les propriétaires des réseaux sociaux ne prennent malheureusement pas le problème au sérieux : ils n’appliquent pas les règles qu’ils ont eux-mêmes établies concernant la nature des commentaires rédigés. Même dénoncés, ceux-ci ne sont la plupart du temps pas supprimés.
– La Suisse ne fait pas partie des pays étudiés dans le rapport publié par Amnesty International en 2017. Sommes-nous épargnés par ce problème ?
– C’est une bonne question ! Je pense que nous avons en Suisse une culture du débat différente de celle de nos pays voisins, comme la France, par exemple, où celui-ci peut être beaucoup plus conflictuel. Nous avons contacté des personnalités actives notamment sur Twitter en Suisse pour leur demander si ce type d’expériences négatives leur était déjà arrivé. Des politiciennes ont reconnu avoir été victimes d’attaques sexistes ou de commentaires injurieux, mais ceux-ci étaient la plupart du temps anonymes. Cela ne signifie pas que la Suisse est épargnée par le problème. Son ampleur sera la même d’ici à quelques années si des mesures ne sont pas prises.
– Quelles seraient ces mesures justement ?
– Premièrement, il faudrait confronter les dirigeants des réseaux sociaux à leurs responsabilités. Ils tirent beaucoup d’argent de nos données, pourtant ils n’appliquent pas de contrôle sur ce qui est posté. Une motion a été déposée devant le parlement, soutenue par le Conseil fédéral, exigeant que les réseaux sociaux dépassant un certain nombre d’utilisateurs en Suisse aient un bureau et une personne de contact dans le pays. Cela faciliterait le contrôle et la dénonciation. Il serait également plus facile de porter plainte. La deuxième mesure porte sur la mobilisation. Il faut encourager les mouvements oeuvrant à plus de bienveillance sur les réseaux sociaux envers les personnes harcelées. Cela afin de leur permettre de voir qu’elles ne sont pas entourées de personnes malveillantes. Amnesty International a également lancé au mois de mars le mouvement « Troll Patrol », une forme d’armée de volontaires qui scanne Twitter. 800 000 tweets sont en train d’être analysés par un peu plus de 6 000 volontaires dans le monde entier. L’idée est de fournir à Twitter une base de données pour que des messages puissent automatiquement être supprimés ou suspendus en fonction des termes utilisés.
– Les femmes ont plus de risques de subir des violences en ligne que dans la vie réelle ?
– Le problème avec la violence en ligne, c’est que c’est une violence facile ! Il serait intéressant de demander à des gens capables d’écrire « Espèce de salope, tu n’as qu’à te faire violer » s’ils oseraient dire cela à une femme en face… L’impunité des commentaires sexistes sur Internet est problématique, car elle implique une prolifération de ces propos injurieux. Si quelqu’un était condamné à deux ans de prison pour ce type de commentaire, les autres réfléchiraient peut-être avant de faire pareil. Il existe sur les réseaux sociaux une violence rapide et différente de celle observée dans la rue. En revanche, les conséquences liées à la violence subie par les femmes dans la vie courante, au sein de leur famille, au travail, etc. sont autrement plus graves et dramatiques. Mais il ne faut pas sous-estimer l’impact de la multiplication des messages de violence sur les réseaux sociaux.
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