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La lumière, nouvel art public

Profitant des longues nuits de l’hiver, de plus en plus de villes se dotent de festivals de lumières. Entre art public et éclairages festifs, ces installations cherchent à innover aussi bien sur le plan artistique que sur celui de leur financement.

De Lyon à Singapour, d’Amsterdam à Jérusalem, de plus en plus de villes développent des festivals de lumières dans leurs rues, places et parcs. En Europe, ceux-ci coïncident avec les longues nuits d’hiver, voire avec les fêtes de fin d’année, comme à Genève et à Lausanne. Leurs directeurs artistiques se défendent pourtant de vouloir rivaliser avec les traditionnels sapins et guirlandes. « Si nous sommes concomitants, c’est surtout pour profiter de la période du solstice, mais aussi d’une utilisation ralentie de l’espace public, rues, places et parcs », explique Julien Pavillard, directeur artistique du festival Geneva Lux, qui a vécu sa 2e édition cet hiver 2016. Complément original de l’ambiance de fêtes, les festivals sont aussi l’occasion d’inviter des artistes tout en sollicitant l’économie privée à participer à l’animation de l’espace public.

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La révolution du LED

A l’origine de ces festivités lumineuses, c’est parfois une personnalité politique qui lance l’idée – et se donne les moyens de la mettre en oeuvre. Ainsi à Genève, où l’ancien conseiller administratif socialiste Manuel Tornare avait initié le festival Arbres et lumière dès 2001. Il s’agissait alors d’investir le patrimoine arboré de la ville. Des dizaines d’équipes, souvent pluridisciplinaires (éclairagistes, artistes, architectes-paysagistes…) ont imaginé des oeuvres, pour certaines mémorables. Ainsi du fameux arbre enrhumé qui, d’une voix d’outre-tombe, s’excusait poliment d’éternuer, à deux pas de l’Université. Ou encore des filaments rouges à l’assaut d’un grand hêtre pourpre dans le parc du monument Brunschwig, ultime irrigation d’un arbre déjà malade et abattu depuis. L’éclairage à LED (lampe à diode électroluminescente) a révolutionné le domaine, et les possibilités sont infinies. Reste cependant à renouveler le genre et l’esprit de ces festivals, qui doivent trouver leur identité entre l’éclairage traditionnel des fêtes de fin d’année et le statut de véritable manifestation artistique. Poursuivi par le magistrat en charge des espaces publics, Guillaume Barazzone, sous le nom de Geneva Lux festival depuis 2014, le festival genevois a pris une tournure un peu différente, occupant places et ponts du centre-ville plutôt que les arbres. « Il y a une volonté de se démarquer du festival précédent, c’est vrai, relève son directeur artistique Julien Pavillard. Il s’agit aussi de ne pas concurrencer les éclairages traditionnels, très populaires. Nous choisissons des sites emblématiques et décidons quelle oeuvre sera la plus adéquate. Nos critères de choix ? La faisabilité technique et la valeur artistique. »

 

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OEuvres pérennes

La première année, le festival genevois a mis en scène quatre installations. Certaines, comme les personnages grillagés flottant sur la place Bel-Air, étaient déjà connues des Genevois puisqu’elles ont été réutilisées pour l’occasion. Et cela sera le cas de toutes les autres installations par la suite puisque chacune d’elles a été acquise par la Ville pour une durée de cinq ans. « Elles seront simplement déplacées d’une rue à une autre, d’année en année : l’idée est de racheter quelques oeuvres par édition – six en 2015 – et ainsi d’organiser un tournus tout en renouvelant le fonds. » Une enveloppe de 80 000 francs est allouée à chaque oeuvre. La totalité du budget est financée à hauteur d’un quart à un tiers par des partenaires privés.

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Art ou publicité ?

Une ambition artistique que revendique aussi le festival Lausanne Lumières. Initié dès 2012 par les commerçants contraints de passer de l’éclairage à incandescence au LED, le festival est intimement lié aux échoppes du centre-ville. En particulier cette année, avec l’oeuvre Skylines, de grands crayons gonflables portant la marque d’un fabricant suisse, installés pile devant une boutique de fournitures de bureau. «Caran d’Ache signifie crayon en russe et cela a inspiré l’auteur de l’oeuvre», relève son directeur artistique, Julien Finkbeiner, qui fut celui des Arbres et lumière de Genève. La frontière entre art et mécénat a toujours été ténue, mais la limite n’a-t-elle pas été franchie dans ce cas de figure ? Le directeur s’en défend, même s’il reconnaît que le financement mixte public / privé doit respecter certaines règles préétablies. « Dans notre budget de 700 000 francs par édition, la moitié provient d’une association entre les services industriels municipaux, les commerçants et nous, l’autre moitié d’entreprises partenaires. Tous ont conscience et respectent le caractère artistique du festival. Leur intérêt à participer ? Une certaine notoriété puisque chaque oeuvre est accompagnée d’un panneau indiquant notamment son partenaire financier. Le festival jouit d’une popularité grandissante, grâce notamment aux visites guidées qui attirent désormais plusieurs centaines de personnes.» Quant aux concepteurs, ils viennent de tous horizons. M. Finkbeiner évoque sa participation au réseau des grands festivals. « On se réunit régulièrement. Cela nous permet de partager nos expériences et surtout d’échanger des oeuvres : l’une parmi celles qui furent exposées à Lausanne en 2014 le sera à Jérusalem cet été. « Le défi est de s’intégrer au mieux dans le contexte urbain. Transposer une oeuvre n’est pas toujours aisé, le parcours
évolue au fil des éditions : sur les toits, mais aussi dans des lieux d’ordinaire peu éclairés. C’est une manière de faire redécouvrir la ville à ses habitants. » ■ Plus d’informstions ici.

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Patrimoine Urbanisme