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Israël, un pouvoir sous influence

Comment devient-on millionnaire en Israël ? Il suffit d’y arriver milliardaire. La blague est aussi vieille que la Terre sainte mais elle donne une idée plutôt juste de ce qui attend les investisseurs qui voudraient se lancer dans les affaires à Tel Aviv ou à Jérusalem sans se montrer suffisamment prudents.

Sheldon Adelson n’est certainement pas naïf. Issu d’un milieu modeste de Boston, il a bâti seul une fortune estimée à un peu plus de 40 milliards de dollars dans l’industrie des jeux et des casinos, un secteur d’activité où les rêveurs survivent juste le temps de se faire dépouiller. Depuis qu’il se passionne pour la survie d’Israël, Sheldon Adelson perd de l’argent – beaucoup d’argent – mais cela ne relève que de sa volonté. Le milliardaire américain, qui fut l’un des plus gros contributeurs de la campagne de Donald Trump (la somme fabuleuse de 100 millions de dollars a été évoquée), dépense sans compter pour défendre Israël contre ses ennemis, ceux qui grondent au-delà des frontières comme ceux qui agiraient à l’intérieur du pays.

Pendant des années, Sheldon Adelson a porté les couleurs de Benyamin Nétanyahu, l’actuel Premier ministre israélien. Le milliardaire de 82 ans admire la pugnacité dont Nétanyahu sait faire preuve face à ses adversaires. Les journalistes israéliens ne manquant aucune occasion d’exposer le goût du luxe et les petits arrangements avec la morale de leur Premier ministre, Sheldon Adelson a investi massivement dans la création d’Israel Hayom, un quotidien gratuit entièrement voué à la promotion de Benyamin Nétanyahu.

L’un dispose de moyens illimités, l’autre d’une inoxydable audace et les deux sont soudés par leur intransigeance.

Depuis son lancement en 2007, Israel Hayom est devenu le titre le plus diffusé de la presse écrite israélienne. Le succès de ce concurrent a été un coup très rude porté à l’influence de Yediot Aharonot, un quotidien fondé en 1939, aujourd’hui propriété du discret et puissant Arnon Mozes. Nétanyahu voit en Mozes le cerveau derrière toutes les campagnes lancées contre lui. Il n’était donc pas étonnant qu’Adelson sorte l’artillerie lourde pour écraser l’ennemi juré de son ami.

Le Premier ministre israélien a su ne pas être ingrat. En 2015, alors que le Parlement israélien se montre très favorable à une loi visant à empêcher la diffusion de journaux gratuits en Israël pour limiter l’influence d’Israel Hayom, Benyamin Nétanyahu annonce brutalement des élections anticipées, seul moyen légal de retarder de plusieurs mois le vote de la « Loi anti-Adelson ».

L’un dispose de moyens illimités, l’autre d’une inoxydable audace et les deux sont soudés par leur intransigeance ; jamais le couple Adelson-Nétanyahu n’aurait dû se briser. Pourtant l’amitié des deux hommes ne semble plus être qu’un douloureux souvenir. Netanyahu n’a pas su encaisser plus d’attaques de la presse contre lui et son épouse. Au lieu de rendre coup pour coup, le Premier ministre a établi un pacte secret avec Arnon Mozes. En échange d’une plus grande mansuétude des journalistes de Yediot Aharonot à son égard, Nétanyahu s’engageait à convaincre Sheldon Adelson de ne pas lancer une édition du week-end d’Israel Hayom. L’arrangement convenait parfaitement à Arnon Mozes mais le vieux milliardaire américain n’a pas supporté d’être tenu à l’écart de ces tractations. Benjamin Nétanyahu n’est donc plus son champion. La place est à prendre. La police israélienne s’est mêlée à l’affaire. À l’issue de plusieurs mois d’enquête, l’unité anti-corruption Lahav 433 estime que la Justice dispose d’éléments suffisants pour poursuivre Nétanyahu. Le Premier ministre israélien se retrouve dans une position difficile, intenable selon certains. Les juges pourraient être tentés de frapper très fort. Ce qui est en jeu dans cette affaire, c’est l’exception démocratique israélienne au Moyen-Orient. Dans tous les pays voisins d’Israël, il est de coutume, en effet, que des milliardaires règnent sur des empires médiatiques qui leur servent à défendre leur communauté et à attaquer leurs ennemis. Au Liban, la famille Hariri contrôle un ensemble de médias qui diffusent les valeurs de la communauté sunnite libanaise contre le Hezbollah chiite. En Égypte, Naguib Sawiris, troisième fortune d’Afrique, a investi massivement depuis 2003 dans des journaux et des chaînes de télévision nationales et internationales pour lutter contre l’influence des Frères musulmans et des salafistes. Au Qatar, la famille régnante a fondé et financé la chaîne d’information Al Jazeera pour offrir un moyen d’expression moderne aux fondamentalistes musulmans.

De tels exemples pourraient être multipliés à l’infini. L’importation de ce modèle en Israël, un pays traversé par de multiples lignes de fractures entre riches et pauvres, laïcs et orthodoxes, partisans de la paix ou réfractaires à toute négociation avec les Palestiniens, serait un désastre pour l’État juif.

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