Interview de Sébastien Fanti

Pourquoi payer pour ce qui est notre droit ?

Sébastien Fanti, Avocat et préposé à la protection des données du canton du Valais

Sébastien Fanti, pensez-vous que l’on assiste à un recul des droits individuels dans la sphère internet ?

On peut considérer qu’avec le droit à l’oubli, nous gagnons quand même un droit supplémentaire. Une personne qui veut effacer un contenu aura plus de facilité qu’avant la décision de la Cour européenne de justice). Le problème, ce n’est pas l’érosion des droits individuels, mais le transfert de la gestion des droits individuels à une société privée.

Quand vous faites référence à une société privée, vous pensez à Google ?

Exactement. Il faut récupérer cette compétence extraordinaire de pouvoir juger de la recevabilité d’une demande de droit à l’oubli que l’on a déléguée à Google et à toutes les sociétés privées de moteurs de recherche. Je pense que la Cour européenne de justice n’a pas vraiment compris les implications de sa décision. La Cour semble l’avoir prise en se disant que le droit à l’oubli devait être ancré dans le droit positif, mais je ne suis pas certain qu’elle ait eu conscience de la boîte de Pandore qu’elle a ouverte.

Que peut-on faire pour récupérer la compétence juridique octroyée à Google ?

On peut légiférer. Dans le règlement européen, il y a une directive qui est en train d’être mise en place. En Suisse, nous pourrions appliquer le droit à l’oubli sur la base de la décision de la Cour européenne. On devrait évidemment la respecter, mais encore faudrait-il qu’un tribunal suisse décide que cette décision européenne s’applique également aux citoyens helvétiques, ce qui n’est pas encore le cas. Un citoyen devrait entreprendre une action fondée sur le droit à l’oubli ainsi que sur les articles 28 et suivants du Code civil suisse.

Google répond souvent aux demandes de droit à l’oubli par des messages typesindiquant que l’information est d’intérêt public prépondérant, sur quels critères se fondent-ils ?

Ce sont des critères qui leur appartiennent. Il faut savoir que Google s’est entouré d’un panel d’experts dont la liste se trouve sur leur site. Le G29, c’est-à-dire le groupe des représentants européens des préposés à la protection des données est intervenu pour demander à Google de respecter certains minima. Ce groupe a édicté des directives concernant le droit à l’oubli. Ces directives sont assez claires parce qu’elles visent à ce que Google respecte des principes fondamentaux communs aux ordres juridiques des différents pays. Par exemple : un mineur est-il concerné, les données sont-elles exactes, pertinentes ou excessives,parle-t-on de données sensibles, l’information est-elle à jour ? Tous ces critères entrent en ligne de compte dans le cadre de l’analyse effectuée. Ces critères s’affineront encore avec le temps. A ce moment-là, on aura une vision commune de l’arrêt.

Avez-vous déjà eu des réponses positives de Google suite à vos demandes de droit à l’oubli ?

Je n’ai pas eu d’acceptation pour l’instant. Cependant, ce que je peux dire de manière préventive : il faut faire attention à ne pas répondre si l’on est attaqué sur un blog ou un autre site. Si on répond, on pourrait considérer que, du point de vue de Google, le droit d’être entendu a été respecté et donc qu’il n’y a plus de droit à l’oubli. Chaque action que l’on entreprend sur internet aura des conséquences. (voir encadré).

Des sociétés spécialisées proposent des techniques informatiques pour noyer ou faire reculer des pages dans les moteurs de recherche, qu’en pensez-vous ?

Ce sont des techniques pour noyer l’information, dont je ne suis pas un grand fan. Elles coûtent très cher, près de 20 000 francs par action d’effacement garantie. Ce n’est pas du tout abordable pour les privés. Ces sociétés sont réservées aux gens qui ont les moyens et c’est une fracture numérique considérable. La preuve de l’absence de démocratie sur internet. Et en plus, pourquoi devrait-on payer pour ce qui est notre droit ?

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