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Interview de Richard Hill

On ferait mieux de renforcer la coopération internationale plutôt que d’affaiblir la protection juridique au niveau national.

Richard Hill, Activiste, informaticien et retraité de l’Union internationale des télécommunications (IUT)

Comment ont été reçues les révélations d’Edward Snowden ?

Ce fut un choc pour beaucoup de monde. Certains savaient que les Américains menaient un programme de surveillance. Par contre, le public en général et la plupart des spécialistes ont été stupéfaits par l’ampleur du programme. Car ce qu’ils font va bien au-delà de tout ce qui avait été soupçonné, même par des gens relativement bien informés.

Y a-t-il eu selon vous une prise de conscience du public ?

Oui, ces révélations ont été utiles, elles ont mis en lumière un problème. Le public tient à la sphère privée. Lorsque Eric Schmidt (l’ancien PDG de Google, ndlr) dit « Privacy is dead », ce n’est pas vrai. Il y a donc eu une prise de conscience, mais cette question n’apparaît pas encore comme une priorité. Les individus sont plus inquiets par les questions de chômage, d’assurance-maladie ou d’impôts, des préoccupations qui sont visibles à leurs yeux. Raison pour laquelle il n’y a pas encore eu de raz-de-marée en faveur du droit à la protection des données.

En Suisse, en tant qu’utilisateurs « lambda », risque-t-on d’être surveillés de la sorte ?

Oui, nous savons que les Américains nous surveillent. Il se peut qu’ils violent les lois suisses. Après, est-ce que vous, moi sommes particulièrement ciblés ? Je ne sais pas. Mais on sait qu’ils ramassent tout. Vos e-mails se trouvent quelque part dans leur base de données. Est-ce qu’ils sont sortis ? C’est peu probable. Ils ne surveillent réellement que très peu de monde. Mais il n’empêche que vos données sont quand même stockées…

Quels sont les risques liés au stockage de ces données ?

Les gens sous-estiment les dangers. On fait confiance aux Américains parce qu’ils justifient cette surveillance sous prétexte qu’elle sert à nous protéger. Mais quid si le gouvernement change ? Hitler a mis entre deux et trois ans pour trouver tous les juifs qu’il voulait exterminer. Aujourd’hui, avec les banques de données, il le ferait en deux heures. De plus, que se passerait-il si une personne du gouvernement exploitait ces informations contre la loi, violant ainsi son devoir de fonction. Cela pourrait être un membre d’une mafia quelconque qui s’introduit dans le gouvernement et qui revend ensuite ces données à des fins criminelles, ou simplement un employé qui décide de claquer la porte avec les données pour les vendre. Nous ne sommes pas à l’abri d’un dérapage.

Ne pensez-vous pas que cette surveillance soit justifiée pour lutter contre le terrorisme ?

Certaines personnes accusent les compagnies internet de favoriser le terrorisme. On peut tourner cela en parodie. Combien de personnes sont tuées chaque année dans des accidents de voiture ? Aux Etats-Unis, il s’agit de 30 000 personnes. Les voitures sont des engins extrêmement dangereux. Donc manifestement, pour protéger la population, il faudrait mettre en place des systèmes de surveillance dans les voitures pour prévenir les accidents. C’est absurde. Si on accepte de ne pas vivre dans une société de risque zéro, on doit aussi accepter que de temps en temps il y ait des attaques terroristes. D’autant plus que, selon les rapports officiels, entre zéro et une dizaine d’attentats auraient été déjoués grâce à ces méthodes. Les résultats de ce programme ne sont pas proportionnels aux coûts. Selon moi, ces systèmes sont totalement inefficaces, parce qu’en essayant de surveiller tout le monde, on n’arrive à surveiller personne. On ferait mieux de renforcer la coopération internationale plutôt que d’affaiblir la protection juridique au niveau national. Mais les Américains sont contre tout accord international, parce qu’ils veulent imposer leur point de vue unilatéralement. Les citoyens suisses devraient faire pression sur le gouvernement suisse afin qu’il soit plus actif au niveau international pour mettre fin à ces programmes inefficaces et abusifs.

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