Interview de Pierre Maudet

J’ai rehaussé l’importance stratégique attribuée à l’énergie, en créant récemment un Office cantonal dont le Directeur Genéral me rend compte directement.

Pierre Maudet, Conseiller d’Etat en charge du Département de l’environnement (GE)

− Quelle est votre vision de la politique énergétique pour Genève ? Quelle impulsion voulez-vous lui donner ?

− L’énergie a été une affaire privée tant que les énergies fossiles et fissiles étaient bon marché, et qu’on ne percevait pas leurs limites ni les risques associés. Avec la prise de conscience des enjeux économiques et environnementaux à l’échelle planétaire, les questions d’énergie ont pris place progressivement dans le champ politique. A Genève, dans la foulée de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, l’initiative «l ’énergie, notre affaire » a abouti, et le Grand Conseil a voté la Loi sur l’énergie. Suite à la catastrophe de Fukushima en 2011, le Conseil fédéral a proposé en septembre 2012 un paquet de mesures pour prendre un tournant énergétique majeur. Cette « stratégie 2050 » vise la sortie du nucléaire par une action forte de réduction de notre consommation et de développement des énergies renouvelables. Les cantons joueront un rôle essentiel pour sa mise en œuvre. Sur ma proposition, le Conseil d’Etat a placé l’énergie au rang d’une politique publique à part entière. Il me revient, en tant que magistrat chargé de cette politique publique transversale, à la croisée de l’urbanisme, l’environnement, la mobilité et l’économie, de donner les impulsions nécessaires pour relever les défis du tournant énergétique.

− Depuis le début de l’année, l’énergie est directement rattachée au Conseil d’Etat. Quels sont vos objectifs et quels moyens allez-vous lui donner ?

− Avant ma prise de fonction, le Service de l’énergie était rattaché à l’Office de l’environne-ment. Depuis le 1er janvier 2013, c’est un office cantonal dont le directeur général me rend directement compte, à un échelon stratégique. Neuf mois après ma prise de fonction, ma priorité est de proposer au Conseil d’Etat, puis au Grand Conseil une nouvelle conception de l’énergie indiquant des objectifs clairs et engageants. Je ferai connaître ce printemps la stratégie que j’entends mettre en œuvre. Fort de l’adoption de la nouvelle conception générale de l’énergie par le Grand Conseil, j’entends réunir les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique énergétique.

− Selon les modifications apportées à la LDTR (Loi sur les démolitions, transformations et rénovations des immeubles d’habitation) par la Loi sur l’énergie, le financement des rénovations énergétiques est réparti entre les propriétaires, les locataires et l’Etat. Toutefois, la capacité de report sur les loyers, les subventions et les réductions fiscales ne sont pas toujours suffisantes pour inciter à investir dans des rénovations lourdes. Comment accélérer la rénovation du parc bâti ?

− Il n’est plus vrai à Genève qu’un propriétaire n’a pas intérêt à rénover car ce ne serait que ses locataires qui en profiteraient en payant moins de charges. En effet, la révision de la Loi sur l’énergie a été accompagnée d’une modification de la LDTR pour soutenir financièrement les rénovations énergétiques lourdes. Ainsi, d’une part les coûts des travaux d’amélioration énergétique peuvent être partiellement reportés sur les locataires par une hausse limitée du loyer quand bien même le loyer avant travaux de ces locataires atteint ou dépasse le plafond fixé par le Conseil d’Etat. D’autre part, si cette hausse du rendement locatif ne suffit pas pour amortir les travaux d’amélioration énergétique, alors le propriétaire peut demander une subvention au canton via le bonus conjoncturel à l’énergie, jusqu’à l’amortissement complet de son investissement selon les taux admis. Par ailleurs, des subventions fédérales et cantonales complètent ce dispositif de soutien à la rénovation. Ce dispositif en vigueur depuis août 2010 n’a pas encore remporté le succès escompté, alors qu’il constitue une réelle opportunité pour un propriétaire de rénover ses bâtiments locatifs. On peut certes augmenter les subventions, pour autant que le Grand Conseil en soit d’accord, mais il convient tout autant d’augmenter la communication et de façon plus générale d’établir une relation de confiance entre l’Etat, qui a mis en place un système combinant un contrôle des loyers et des incitations à la rénovation énergétique, et les propriétaires, ces derniers étant parfois réticents à livrer leurs états locatifs.
Reste que les investissements à engager sont importants. C’est la raison pour laquelle le 1er paquet fédéral de mesures, dont la mise en œuvre est prévue en 2015, prévoit un doublement, voire un triplement de la taxe sur le CO2 pour subventionner la rénovation, et que le 2e paquet fédéral de la stratégie 2050, dont la mise en œuvre est prévue pour 2020, prévoit une réforme fiscale écologique. Ces nouvelles conditions-cadres devraient permettre, en bonne intelligence avec les conditions-cadres genevoises, d’augmenter significativement le taux de rénovation. Le canton a déjà choisi par le passé d’investir massivement dans une politique publique, par exemple les transports publics, avec une vision de long terme quant au retour sur investissement. La politique énergétique doit être conduite avec une vision de long terme également, et je suis convaincu qu’elle sera payante pour tous !

Genève est la ville qui produit le plus d’électricité par habitant.

− Ne devrait-on pas aborder franchement la question apparemment taboue de la démolition de certaines passoires thermiques des années cinquante ou soixante pour reconstruire des bâtiments aux normes environnementales actuelles ? La LDTR ne mérite-t-elle pas un assouplissement ciblé ? Même les caisses de pension étatiques se plaignent en catimini de devoir conserver des immeubles mal construits et impossibles à rénover ?

− La Loi sur l’énergie prescrit des cibles énergétiques à atteindre, dans le neuf et pour la rénovation, mais laisse aux propriétaires immobiliers le choix des mesures à mettre en œuvre pour atteindre lesdites cibles. Démolir ou rénover est donc une décision du ressort des propriétaires. Du point de vue énergétique, cela peut être une bonne décision comme une mauvaise selon que le nouveau projet mobilise beaucoup d’énergie ou non pour sa construction. Dans une vision de long terme d’une société à 2 000 W, les experts estiment qu’en moyenne l’ensemble du parc bâti devra présenter une performance équivalente aux bâtiments conformes au standard Minergie-P. Cette moyenne reflètera probablement une réalité assez contrastée avec des bâtiments encore plus performants d’un côté et des bâtiments moins performants de l’autre, certains bâtiments étant appelés à être conservés pour leur intérêt patrimonial. Pour ce qui est des questions relatives à la LDTR, il revient au département de l’urbanisme de définir ces orientations.

− Genève se veut exemplaire en matière d’énergie renouvelable, citons notamment l’installation de photovoltaïque de Palexpo qui est la plus grosse installation de Suisse. Genève est aussi, si on additionne toutes les installations photovoltaïques, la ville qui produit le plus d’électricité par habitant. Quels moyens se donne le canton pour valoriser le potentiel d’énergie renouvelable à Genève ?

− Le jour où Genève couvrira une part significative de ses besoins en énergie grâce aux énergies renouvelables locales arrivera sûrement mais assurément pas dans les 30 ans, au vu des investissements à consentir et des solutions techniques à développer. Dans l’intervalle, les énergies fossiles joueront encore un rôle important et il faut aussi veiller à utiliser cette ressource plus efficacement en développant la cogénération et les réseaux de chaleur. Pour autant, il faut commencer dès maintenant cette transition énergétique. La meilleure des énergies étant celle que l’on ne consomme pas, la première des priorités est de réduire notre consommation, notamment dans le domaine des bâtiments par la rénovation énergétique. La seconde priorité est de valoriser dès à présent les énergies renouvelables qui sont d’ores et déjà accessibles techniquement et financièrement. C’est la raison pour laquelle le Grand Conseil a considéré comme une obligation évidente d’imposer la pose de panneaux solaires thermiques sur les toits neufs ou rénovés des bâtiments consommant de l’eau chaude sanitaire en quantité, typiquement les logements, les hôtels, etc.
Le recours aux énergies renouvelables dans des petites à moyennes installations se développe ainsi dans notre canton grâce à la combinaison de mesures d’information, de soutien financier (subventions) et par l’application de la loi sur l’énergie en matière de construction et de rénovation. Certains gisements d’énergies locales ne sont cependant accessibles qu’au travers d’infrastructures d’importance cantonale, qu’il s’agisse de la ressource hydroélectrique sur le Rhône ou des rejets de chaleur de l’usine des Cheneviers. Pour valoriser ces énergies, le canton joue un rôle clef en établissant une planification énergétique territoriale coordonnée avec l’aménagement du territoire et en fixant des conditions adéquates (concessions, subventions, etc.), en coordination cas échéant avec la Confédération. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a décidé en octobre dernier de lancer un nouveau programme de prospection et d’exploration du sous-sol genevois à grande profondeur, baptisé GEother-mie 2020, pour identifier les potentiels de chaleur à même de couvrir une part significative des besoins du canton. Il s’agit là d’un programme qui pourrait avoir une incidence majeure sur notre approvisionnement énergétique si l’excellent potentiel d’hydrothermalisme que recèle notre sous-sol se confirme.