Interview de Matthieu Jaccard
– Le concept d’architecture végétalisée est-il nouveau dans l’histoire de l’architecture ? La « révolution verte » dans ce domaine date-t-elle du XXIe siècle ?
Matthieu Jaccard – La question du rapport entre construction humaine et monde végétal est vieille comme l’architecture. Il suffit de se souvenir que dans l’Antiquité, les
jardins suspendus de Babylone faisaient partie des sept merveilles du monde. Un autre exemple fameux est la représentation de l’origine de l’architecture par le théoricien français Marc-Antoine Laugier (1713-1769) : une structure en bois posée sur des arbres (Marc-Antoine Laugier, Essai sur l’architecture, 1755).
– A quel moment la notion d’architecture végétalisée s’est-elle manifestée le plus intensément ?
– Si l’on peut considérer que la relation entre architecture et végétal a toujours été un enjeu, avec des moments où c’est la main de l’homme qui domine (le jardin à la française) et d’autre la nature (le jardin à l’anglaise), la Révolution industrielle a eu un impact important. Vers 1900, un mouvement remet en cause la toute-puissance de la machine qui se met en place, des projets de cité-jardin cherchent à équilibrer innovation technologique et rapport à la nature. Puis viendra le triomphe du modernisme, remis lui-même en cause de manière de plus en plus forte à partir des années 1960. C’est à ce moment que la critique de la rationalisation amènera à de nouvelles expérimentations utilisant des techniques et des matériaux traditionnels, s’intéressant aux énergies renouvelables ainsi qu’a des enjeux sociaux. Ce mouvement va gagner en importance avec le choc pétrolier de 1973 puis l’émergence de la notion de développement durable.
– Un des enjeux de l’architecture verte, c’est aussi le bien-être des citadins. Pensez-vous que ce critère soit suffisamment pris en compte ?
– La question du retour en ville est effectivement un thème important. Il est aujourd’hui largement partagé qu’une utilisation durable des ressources passe par la concentration des activités humaines en certains lieux. Depuis quelques années, de nombreux modèles montrent qu’habitat urbain et qualité de vie peuvent absolument aller de pair, ce qui passe notamment par une attention à la présence d’éléments végétaux en ville.
– Y a-t-il des aspects particulièrement singuliers dans cette architecture verte ?
– Un de ses aspects stimulants est que c’est un domaine qui mêle recherches high-tech et redécouverte de savoirs anciens. Le pôle de référence n’est plus uniquement le monde occidental, mais également toutes sortes d’autres contextes à travers le monde. Le thème de l’architecture vernaculaire est devenu essentiel et des architectes de pays jusque-là peu observés pour ce qui y était construit amènent leur voix dans une réflexion de plus en plus globale, favorisant la notion d’intelligence collective.
– Dans dix ans, quelles seront selon vous les plus importantes métamorphoses en matière architecturale ?
– Une des principales métamorphoses en cours dans l’architecture est que l’on cesse de considérer que ce domaine consiste en la création d’objets autonomes pour favoriser son inscription dans une pensée interdisciplinaire où différents savoirs s’alimentent mutuellement pour développer des solutions à la hauteur de la complexité des défis actuels.