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Interview de Laura Drompt

Nous voulons être complets et non globaux.

Laura Drompt, Corédactrice en cheffe du « Courrier »

Le Courrier, fondé à la fin du XIXe siècle, est aujourd’hui le seul quotidien genevois indépendant de tout groupe de presse. Bien que doté d’un site Web moderne, il mise toujours sur le papier. Les blogs et sites d’information ne sont-ils pourtant pas, dit-on, le meilleur moyen d’attirer de jeunes lecteurs ?

Laura Drompt – Les « pure players », médias misant uniquement sur le Web, quoique souvent intéressants, ne semblent pas en réalité constituer une réponse à la crise de la presse. Prenons par exemple le site « Rue 89 », qui apportait une information originale, un ton frais et offrait gratuitement son contenu à un public majoritairement jeune et très nombreux. Le site a édité une version sur papier, et son succès a attiré l’attention du Nouvel Observateur, qui l’a racheté… et vite vidé de sa substance. D’autres expériences, payantes comme « Mediapart » ou ciblant le jeune public comme « Slate », sont intéressantes. Mais je crois que le premier moyen d’attirer des lecteurs et des abonnés est de leur fournir des articles qui les intéressent. Au-delà, Web et papier sont complémentaires, chacun nécessitant le relais de l’autre : un site a besoin d’être connu, un journal doit être présent sur le Net. Au Courrier, nous essayons de faire comprendre aux moins de 35 ans que l’on peut légitimement payer pour du contenu ! La quasi-totalité de nos revenus provient du journal imprimé.

– Plus généralement, votre modèle économique est inédit. Est-il solide ?

– Notre budget de quelque 3,7 millions annuels est assuré à 80 % par les abonnés, parrainages d’abonnements et dons. En 2017 par exemple, nous avons reçu 315 000 francs de dons ; chaque année, le journal lance une campagne de souscription, qui donne de bons résultats. La publicité et les partenariats nous apportent les 20% restants. Nous ne tenons pas à accroître la part de la publicité : les annonces et offres d’emploi provenant pour la plupart des secteurs public ou parapublic nous permettent de conserver notre indépendance. D’où que vienne l’argent, il induit obligatoirement une certaine pression, et cela reste valable même pour nos fidèles lecteurs, qui ne manquent pas de protester si telle ou telle de leurs opinions n’est pas défendue… Il y a une grande attente de fidélité à nos idéaux, humanistes et progressistes, mais qui ne sont pas ceux d’un parti ou d’un mouvement en particulier. Nous devons de temps en temps expliquer aux milieux qui nous somme proches que la liberté d’expression est une valeur suprême.

– Doit-on considérer Le Courrier comme un média classique ou alternatif ?

– Nous sommes axés sur la société civile et non sur les mêmes « agendas » politiques, économiques ou institutionnels que les autres quotidiens. Il n’est pas possible de suivre l’actualité mondiale, nationale et locale en ne lisant que Le Courrier, mais nous nous considérons comme un complément à la presse généraliste. Fidèles à notre devise « L’essentiel, autrement », nous nous attachons à traiter des sujets différemment, et à aborder des thèmes négligés par nos confrères. Ainsi, lorsque toute la presse était concentrée sur les débats de la « Lex USA », nous avons couvert les débats parlementaires autour des drones israéliens ou de la fonderie d’or concentrée en Suisse. En somme, nous essayons d’être complets et non globaux. Notre orientation progressiste n’est pas sectaire et nous n’hésitons pas à sortir de notre pré carré, quitte à déplaire.

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