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Interview de Guy Mettan

Nous vivons un totalitarisme mou.

Guy Mettan, Directeur exécutif du Club suisse de la presse

– Observateur qualifié de l’évolution de la presse et de la société, que pensez-vous du développement de ce qu’on appelle volontiers les «médias alternatifs», généralement électroniques ?

Guy Mettan – Dans le contexte actuel, on assiste en effet à l’émergence de médias à l’orientation et aux contenus originaux, qui constituent malgré leur manque de moyens et grâce à la puissance d’Internet, une alternative – comme leur nom l’indique – à la presse et aux médias ordinaires. La « grande » presse dispose de ressources financières dues à ses propriétaires ; ceux-ci gagnent généralement leur argent ailleurs qu’au coin des rotatives, mais ont besoin de ces vecteurs de communication pour défendre leurs intérêts. L’élite mondialiste « bien-pensante » aura toujours des médias pour s’exprimer. Le phénomène nouveau est qu’une part croissante du grand public s’irrite de l’uniformité de cette « Pravda » polymorphe et ne croit plus à ses messages harmonisés. Comme jadis en Union soviétique, on assiste au développement de petits médias, parfois extrémistes mais souvent crédibles, des « samizdat » ou des « dazibao » qui exercent une influence sur l’opinion : la preuve est que comme dans les États totalitaires ou autoritaires, les dirigeants en ont peur. L’Union européenne cherche à réglementer la diffusion de nouvelles sur Internet, accusant volontiers l’étranger de manipulations. Décidément, cela rappelle en effet l’attitude des caciques soviétiques…

– Ces interventions sont généralement présentées comme des moyens de préserver le pluralisme et la qualité des informations, que menaceraient les « fake news »…

– Il y a en effet une contradiction profonde entre les idéaux affichés et la volonté – sous prétexte de trier les vraies et les fausses nouvelles – de contrôler l’information, voire les opinions émises. La tolérance envers les voix dissidentes ou simplement discordantes fond comme neige au soleil, et cela bien plus nettement en Europe qu’aux États-Unis. Ce paradoxe est gênant : au nom du « politiquement correct », on interdit jusqu’à la moindre tentative de débat. Curieusement, outre-Atlantique, la force constitutionnelle de la liberté d’expression permet des déclarations ou des publications qui seraient chez nous frappées d’anathème. Au-delà même des lois, il existe des interdits «sociétaux» d’utiliser tel ou tel mot, ou de penser telle ou telle chose. Je dirais que nous vivons un totalitarisme mou, et que tant que ce sera le cas, les médias alternatifs auront de beaux jours devant eux.

– Le recours généralisé à l’image est-il émollient pour l’intelligence collective ?

– Rien de plus évident en effet que la domination de l’image, du divertissement, du spectacle dont chacun – et non plus une poignée de stars – peut devenir propagateur ou vedette. Les profondes analyses de spécialistes cèdent devant les dernières vidéos de tel ou tel jeune « youtubeur » ou les prises de position de footballeurs contre la faim dans le monde. Nous ne sommes pas pauvres ni malheureux, mais il ne faut pas oublier que l’Empire romain est mort riche, repu, avec un goût prononcé pour la culture et l’exotisme ! Nous vivons une période de fin d’empire. À l’époque, une infime minorité de moines lettrés ont réussi à sauver une partie de l’héritage culturel gréco-romain. Aujourd’hui, peut-être que la réelle information se trouve dans ces fameuses petites niches alternatives ?

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