Interview de Francesco Della Casa
– Lutter contre la déperdition d’énergie passe, entre autres, par la conformité à des labels. Ceux-ci peuvent-ils avoir des effets indésirés (par exemple étanchéité trop forte, sentiment d’aquarium, etc.) ?
L’expérience montre en effet que le conformisme myope aux labels peut entraîner des effets non désirables, voire même nocifs. La norme fixe un objectif à atteindre, mais n’impose pas le moyen d’y parvenir. Appliquer aveuglément des produits certifiés ne suffit pas. A l’instar de la peau pour le corps humain, l’enveloppe d’un bâtiment doit rester capable d’échanger l’air, la lumière et l’humidité avec son milieu, même quand on souhaite diminuer les pertes thermiques. Si l’on étanche trop fortement une partie de la construction, l’humidité migrera ailleurs, pouvant créer des dommages. Si l’on veut contrôler l’échange d’air uniquement de manière mécanique, le taux d’humidité devient trop bas par temps de grand froid, ce qui peut provoquer un inconfort, voire des maladies chez certaines personnes. Plus généralement, je regrette que l’on ait banni le facteur humain dans le réglage du confort à l’intérieur d’un bâtiment. Tirer un rideau, régler des persiennes, créer un courant d’air étaient des gestes simples, qui faisaient partie d’une culture séculaire de l’habiter, laquelle était par ailleurs très largement moins gourmande en énergie. A force d’automatisation, qui certes fait très joli dans les publicités, on ne sait plus s’adapter en cas de situations inhabituelles, comme la canicule que nous venons de vivre cet été. Sans parler de la multiplication des risques de panne qu’entraîne,
statistiquement, l’hyper-sophistication.
– Comment concilier recherche d’économie d’énergie et recherche du beau ? Et comment arbitrer (patrimoine classé, panneaux solaires…) ?
Il faut d’abord beaucoup de soin dans l’élaboration du projet, car il s’agit d’intervenir avec un élément exogène dans un système constructif dont la beauté réside justement dans le fait qu’il a su combiner de manière élégante tous les éléments qui le composent. Ce n’est pas impossible, mais on n’y parvient certainement pas sans un minimum de réflexion. L’arbitrage repose sur l’examen entre le gain énergétique escompté, qui doit être conséquent, et les atteintes au patrimoine, qu’il s’agit de minimiser.
– La volonté de s’inscrire dans le développement durable vise-t-elle avant tout un objectif politique et économique, ou pense-t-on vraiment au bien-être des habitants ?
Au vu de l’évolution récente de notre environnement, il s’agit en premier lieu d’assurer la survie des habitants de cette planète. Le terme anglais « sustainability », difficile à traduire de manière élégante, est en tous les cas plus adéquat que « développement durable », qui est un tragique oxymore.
– La ville écologique de demain est-elle une utopie ?
La ville a été capable d’être beaucoup plus écologique au cours de l’histoire qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et dans des conditions climatiques infiniment plus rudes que celles dont nous bénéficions dans notre climat que l’on peut encore, pour l’heure, qualifier de tempéré.
–Les mentalités en Suisse vous semblent-elles mûres pour adopter des règles de construction et un mode de vie compatibles avec le développement durable ? Jusqu’à quel point les gens feront-ils des efforts (surcoût, discipline d’usage, etc.) ?
Tant que l’on voudra le beurre, l’argent du beurre, la vache, le veau et sa clochette, on n’arrivera pas à grand-chose. Je ne crois pas plus à une discipline imposée, qui ne peut être que parfaitement contradictoire avec le discours publicitaire et l’impératif consommatoire que nous connaissons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est une affaire qui tient davantage de l’intime et de la conscience de son « être au monde ». L’histoire des cultures humaines en témoigne abondamment, il peut y avoir infiniment de plaisir à retrouver une forme de parcimonie et d’équilibre. A mon avis, certainement plus que dans une virée shopping à Dubaï, avec descente à skis et selfies inclus. Et pourquoi ne pas prendre conscience du véritable coût des choses, surtout quand elles sont d’évidence superflues ?