Interview de Claude Zuber
En partant du principe que l’idée n’est pas de mettre la nature en boîte ou de la contrôler encore plus.
– L’architecture végétalisée est-elle envisageable à grande échelle ?
Claude Zuber – Oui et non. Que le végétal soit plus présent et normalement utilisé et donc respecté, cela va sans dire, mais est-il obligé de s’acoquiner et de s’entremêler avec le bâti ? J’ai l’impression qu’il s’agit d’un effet de mode. Selon moi, nous sommes toujours au début de cette architecture verte ; on ne l’a pas encore évaluée. C’est la nouveauté à laquelle tout le monde s’accroche pour démontrer son savoir-faire ou son potentiel, ou simplement pour se montrer respectueux de la nature ? Je crois qu’il faut prendre tout cela avec beaucoup de réserve et surtout se poser la question de la durabilité, de l’entretien, sachant qu’à ce niveau-là il n’y a pas encore de retour éclairant sur le sujet. Je rappelle tout de même que lorsque l’on est dans le cadre d’une construction végétalisée, on fait appel à tout un système d’étanchéité asphalté, et autres dérivés performants issus du pétrole ! Manifestement Il y a là un hiatus de comportement et il ne faudrait pas que la végétalisation si elle se poursuit devienne un accessoire d’architecture. Au final, pour répondre à votre question, je dirais abordons la végétalisation de l’architecture à titre d’essai et de démonstration, voyons les résultats, voyons les coûts, le temps qu’elle dure, avant de généraliser.
– Prendrait-on le problème à l’envers ?
– Oui, parce que l’on végétalise certains projets pour avoir une sorte d’excuse de l’avoir fait. Si les toitures végétalisées sont une bonne chose, restons positifs, mais critiques sur d’autres solutions. Si nous prenons l’exemple de l’immeuble réalisé par l’architecte Stephano Boeri à Milan avec ses jardins suspendus, on doit se poser la question de la durabilité et de l’efficacité du processus. Qu’en sera-t-il en cas de sécheresse par exemple ou simplement de manque d’eau par réglementation (comme parfois en Californie ou même chez nous). Si l’on a une bonne connaissance de la gestion des serres depuis les XVIIIe et le XIXe siècles, là en l’occurrence on ne sait pas vraiment vers quoi on se dirige, alors face à cette problématique, l’architecte qui n’a quasiment pas de formation dans ce sens se doit de collaborer avec des paysagistes ou des spécialistes du végétal. Car les dispositifs et les accompagnements que demande cette architecture dite «végétalisée» sont précis et relativement stricts, pas compliqués mais spécifiques. En partant du principe que l’idée n’est pas de mettre la nature en boîte ou de la contrôler encore plus. En la valorisant, sans la contraindre. N’oublions pas que la nature est forte et se défend jusqu’à disparaître et que l’exception n’est belle que tant qu’elle est exception !
– Que faudrait-il faire alors ?
– Je ne possède pas de remède immédiat, mais je dirais que le choix de M. Barazzone de reverdir la ville de Genève en replantant des arbres me semble pertinent, simple et de bon sens. Car cela permettra de jouer avec des ombrages, de qualifier des vues, de souligner des perspectives, de rythmer le temps au fil des saisons, avec parfois un supplément olfactif selon l’essence choisie. Offrant au final un bien collectif et qualitatif, comme les voiries et les places.
– Mais cela devient de l’esthétique ?
– Il y a certainement un peu de recherche esthétique, mais pas que ! Autrefois au XVIIe, XVIIIe siècles on cadrait et composait si besoin le paysage avec des arbres, des végétaux et des édicules. On mettait en scène la nature en quelque sorte, mais avec une différence importante en regard des techniques actuelles, les arbres et les végétaux étaient plantés en pleine terre, selon l’ordre naturel.
– Dans la formation des architectes, y a-t-il une obligation de pluridisciplinarité ?
– La pluridisciplinarité se fait au travers des contacts qu’un architecte est amené à construire autour de lui pour mener à bien ses projets. A l’école, les architectes et les paysagistes suivent une méthodologie de travail et un rythme relativement différents, propres à leurs besoins professionnels. Cela dit, bien que le cursus bachelor soit assez court, les cours en commun ou les ateliers entre filières sont des moments vraiment formateurs, car ils permettent de mieux comprendre les interrogations et besoins de l’autre, et surtout de s’entendre sur la gestion du temps et la finalité recherchée. Sachant que l’acte de projeter, de construire, d’imaginer, de s’interroger suit pour ainsi dire le même processus pour un architecte ou un paysagiste, et que seul, dans les grandes lignes, les moyens à mettre en oeuvre diffèrent et restent propres à chaque savoir.
– Les labels sont-ils des moteurs ou des contraintes ?
– Les labels sont des guides et permettent d’inciter le commanditaire à veiller à la réalisation et au respect de tel ou tel élément ou aspect de la construction, mais de nouveau à savoir si ces labels ont des effets pervers, je n’ai pas d’analyse particulière sur ce sujet, mais comme je le disais précédemment tous ces systèmes entraînent toujours des aspects positifs et négatifs. Comme je suis personnellement toujours favorable à aller de l’avant tout en sachant qu’ensuite il sera toujours temps de corriger, rectifier. Mais comme l’histoire nous l’a appris, ne nous dispersons pas trop, lançons-nous dans un ou deux projets représentatifs et testons-les.
– Un exemple emblématique ?
– Oui, celui déjà cité de Stephano Boeri à Milan qui est très intéressant, car il se trouve sous nos latitudes, et pas à Dubaï, on peut donc observer dès maintenant si un tel bâtiment avec les conditions atmosphériques locales arrive à faire survivre ses végétaux. Et plus spécifiquement vérifier les conditions d’entretien de cette vie ou survie végétale (naturelle ou instrumentée).