ALT

Interview de Sylviane Roche

L’orthographe s’est écroulée parce que l’enseignement de l’histoire a été réduit.

Sylviane Roche, Écrivaine

– Que pensez-vous de la simplification en cours de l’orthographe, en France et chez nous, incitant par exemple à supprimer le circonflexe ou à supprimer des particularités (ognon au lieu d’oignon) ?

– D’une part, je nourris une grande affection pour les « cicatrices » que portent les mots. Leur orthographe est issue de leur histoire et en témoigne. Mais je ne peux oublier, d’autre part, que ces subtilités orthographiques font du français une langue extrêmement difficile à apprendre et à enseigner. Je ne pense pas que les bases de la culture francophone seront ébranlées par la disparition du «i» du mot «oignon». Réformer l’orthographe pour abolir quelques difficultés, pourquoi pas, après tout ? Cela a été fait pour leur idiome par les Espagnols au XIXe siècle. On peut ainsi atténuer la discrimination entre «ceux qui savent» et «ceux qui ne savent pas». Mais attention : je ne parle là que de l’orthographe d’usage, et non de l’orthographe d’accord. Les règles d’accord sont essentielles à la compréhension de la langue, il ne faut évidemment pas y toucher, car sinon, personne ne saura plus ce que ses interlocuteurs veulent dire !

– Votre carrière s’est développée autour d’une parfaite maîtrise de la langue. Les nouvelles générations ont-elles toujours cette opportunité et comment donner aux jeunes le goût du «bien parler» et du «bien écrire» ?

– Je crois que la lecture régresse, que les SMS et les abréviations ont tendance à généraliser les «paske» au lieu des «parce que» – il m’arrive d’utiliser ce genre de raccourcis dans des messages à des amis ! Les nouvelles générations, ce n’est un secret pour personne, ont une orthographe déplorable. J’ai enseigné la littérature française durant trente-cinq ans à l’échelon gymnasial dans le canton de Vaud et me suis trouvée aux premières loges pour constater les dégâts énormes qu’ont causés les réformes scolaires. On a coupé les élèves de la syntaxe et de la morphologie de la langue. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les rééditions du Club des cinq soient des versions allégées, avec des phrases plus courtes et sans aucun passé simple. Alors que faire ? Si seulement je le savais…

– La féminisation systématique des noms a-t-elle un sens ? Est-il bien de parler, comme on le fait en Suisse, de « cheffe » et de dire « la maire de Genève » ?

– Je distinguerai deux aspects. D’abord, la féminisation des noms de métier. Présidente, avocate : les noms de toutes ces professions qui, autrefois, n’étaient pas pratiquées par des femmes sont logiquement féminisés de nos jours. Cela me semble légitime. Bien sûr, les règles de formation du féminin ne sont pas toujours respectées. Ainsi, «chef» devrait logiquement se féminiser en «v» (bref donne « brève »), mais «chève» ne serait pas très heureux ! Lecteur, qui vient du supin latin, donne « lectrice », alors que danseur, qui vient de l’infinitif latin, donne « danseuse ». Mais «cheffe» ne me gêne pas. En revanche, je suis absolument opposée à cette horreur que l’on nomme «orthographe inclusive», avec ses «tirets(-e-s)» ses points et ses barres obliques qui rendent n’importe quel texte inintelligible. Contrairement à ce qu’on dit partout, en français, le masculin ne l’emporte pas, c’est le neutre qui l’emporte. L’ennui est que dans notre langue, il est identique à la forme masculine. On dit «il neige» : c’est un neutre ; qui aurait l’idée de dire «elle neige» ? J’ajouterai que cette obsession inclusive présente de curieux paradoxes : vous ne trouverez nulle part un texte justifiant le port du voile islamique même par les fonctionnaires, ou ce fameux «féminisme islamique» qui est un oxymore ridicule, car partisan d’une forme aiguë de discrimination des femmes, qui ne soit pas scrupuleusement rédigé avec les formules «inclusives» !

– À la tête de l’Éducation nationale ou de l’Instruction publique, quel serait votre programme politique ?

– Tout d’abord, je réformerais la grille horaire, avec six heures d’histoire par semaine. Il y a un rapport entre l’écroulement de l’orthographe et celui de l’enseignement de l’histoire qui empêche les enfants de se raccrocher à l’héritage du passé et qui les rend vulnérables à n’importe quelle idéologie dangereuse. Ensuite, je renforcerais la formation des maîtres, à commencer par les instituteurs, en français, en histoire, en instruction civique. L’école primaire est vitale, elle doit être revalorisée, c’est là que tout commence. Le statut et le salaire des instituteurs seront améliorés ; ils doivent être compétents et, notamment, formés à la vraie laïcité, qui n’est pas l’exclusion de la religion. Non croyante, j’ai passé ma carrière à expliquer à mes élèves la Genèse ou le mont des Oliviers, car sans cela, la moitié de la littérature et de la culture française est inaccessible.

Rubriques
Société