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Interview de Charles Poncet

Mettre au rancart notre héritage classique fut une grande erreur.

Charles Poncet, Dr en droit et avocat, Genève

– Que pensez-vous de l’initiative de féminisation des noms et des fonctions prise par l’Université de Neuchâtel ? Est-elle utile à la cause de l’égalité ?

– Ce sont typiquement les imbécillités post-soixante-huitardes qui séduisent des universitaires désoeuvrés. Ces dignes descendants des Sorbonnards, auxquels Rabelais nous enseigne que Panurge n’en voyait jamais passer un sans mettre un étron dans son bonnet, feraient mieux d’étudier et de respecter la langue française. Je suis atterré par le verbiage socio-illettré que ces gens emploient dans des publications qu’ils disent scientifiques. Mettre tous les noms au féminin me rappelle furieusement Molière, dont Sacha Guitry disait avec raison que quand on se demande ce qu’il y a de neuf, il faut aller voir dans Molière : l’Université de Neuchâtel est peuplée par les Précieuses ridicules ! Au lieu de demander « voiturez-nous donc les commodités de la conversation », ces héritiers spirituels de Cathos et de Magdelon font dans la féminisation. Ces gens n’ont aucune importance. Ils ne sont qu’une rature dans le grand cahier de la langue française et leurs élucubrations seront oubliées rapidement.

– Approuvez-vous la simplification en cours de l’orthographe, en France et dans d’autres pays francophones, incitant par exemple à supprimer le circonflexe ou à abolir des particularités (ognon au lieu d’oignon) ?

– J’y suis totalement opposé. Une des grandes erreurs que nous avons faites dans les trente dernières années est de mettre au rancart notre héritage classique. Je suis résolument partisan d’une formation humaniste basée sur le latin et, si possible, sur le grec. Elle doit aussi s’appuyer sur l’étude de la langue française, sur l’orthographe, sur la dictée, sur la syntaxe et sur la grammaire. L’analyse de texte a pratiquement disparu de l’enseignement, sauf peut-être dans certaines classes de terminale. C’est honteux. Notre langue est l’héritière de cette combinaison à base latine, avec bien entendu d’autres influences aussi. L’orthographe, telle qu’elle a été définie à l’époque où l’Europe n’avait pas à contempler sa propre déchéance dans les oeuvres d’enseignants misérables et démotivés, doit absolument être défendue et maintenue. Il faut savoir se montrer conservateur dans un certain nombre de domaines et l’orthographe entre assurément dans cette catégorie !

– Quelle est votre définition de l’« éternel féminin », qui a servi de thème à une récente prestation extraordinaire, musicale et théâtrale, où vous avez excellé en compagnie de la virtuose violoniste Isabelle Meyer et de Suzette Sandoz ?

– Ayant eu la chance d’être bien formé à cet égard par mes trois filles, qui ont pourvu à mon éducation pendant que je m’efforçais de faire la leur dans d’autres domaines, et notamment dans celui de l’usage du français, je n’hésite pas à dire qu’à supposer que les femmes ne soient pas plus fortes que les hommes – ce qui reste à démontrer – toute autre approche que l’égalité complète est une absurdité économique. Elle l’est encore plus sur le plan politique et intellectuel. Au nom de quoi voudrions-nous nous priver de la moitié des ressources disponibles dans notre société ? L’éternel féminin, comme il doit être vécu de nos jours, est simplement de reconnaître cette évidence. Je suis conscient du fait qu’un long chemin a été parcouru depuis l’époque où l’Église catholique se demandait si les femmes avaient une âme, mais il nous reste tout de même quelques progrès à faire.

– On a récemment entendu à la radio un vif échange entre vous et un « psycholinguiste » fribourgeois tout ému de ce que l’Université de Neuchâtel ait décidé de mettre au féminin tous les noms, au lieu du masculin générique prévu par la grammaire. Qu’avez-vous retenu de ce débat ?

– Je ne veux pas accabler ce digne descendant des Sorbonnards de Rabelais auxquels je faisais allusion à l’instant, mais ce qui m’a frappé en écoutant le verbiage compliqué dans lequel il essayait d’exprimer une pensée hésitante, c’est la sagesse des vers de Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».

– Saviez-vous qu’il existait des « psycholinguistes » ?

– Non. L’existence de cette variété particulière et anthropologiquement intéressante de l’espèce homo sapiens, si tel est le terme qui convient, m’était restée inconnue jusqu’ici. Je suggère que, puisque la solution maoïste consistant à les envoyer se recycler dans des travaux agricoles auprès des masses populaires n’est malheureusement plus disponible dans notre société désespérément libérale, nous puissions en faire des professeurs d’orthographe, mais je suis conscient du fait qu’il leur faudra plusieurs années d’études d’abord.

– Ministre de l’Éducation nationale ou de l’Instruction publique, quel serait votre programme politique ?

– Il tiendrait en quelques phrases simples : dès l’école mater-nelle, apprentissage systématique du calcul et surtout de la langue française, par la lecture et l’écriture. Orthographe, dictée, syntaxe, grammaire, analyse de texte et découverte du latin et du grec dès que possible, le meilleur âge étant à mon avis 12 ans. Étude systématique de la littérature française, de Ronsard à Proust. Étude de l’histoire sur base chronologique. Obligation d’apprendre les textes classiques par coeur. Comme vous le voyez, mon programme est typiquement celui de la gauche caviar…

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