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Interview de Chantal Thouverez

Certains patients souffrent de ne pas avoir été écoutés.

Chantal Thouverez, Responsable du Bureau cantonal vaudois de médiation santé

C’est suite à de gros scandales dans les établissements médico-sociaux (EMS) vaudois que les droits des patients ont été reconnus en Suisse romande ?

Oui, lors d’un état de crise, suite à d’importants problèmes de qualité, de sécurité et de gestion dans certains EMS vaudois en 1998-2000, le gouvernement a nommé une commission d’enquête parlementaire. Sur la base du rapport remis, il a décidé d’appliquer des actions correctrices. C’est ainsi que la loi sur la santé publique de 1985 a été promulguée en 2002. Un chapitre de cette loi définit les droits des patients, résidents et précise les organes de recours. J’ai aussi participé à la création et au fonctionnement de deux commissions d’examen des plaintes.

La révision de la loi sur la santé publique prévoyait également la création d’un bureau cantonal de médiation santé ?

Oui, il fallait, selon la loi, créer un bureau cantonal de médiation santé et j’ai été choisie pour en assumer la responsabilité, en totale indépendance, dès le 1er mai 2004. J’ai toujours aimé relever les défis, gérer les problèmes, accompagner le changement afin de renforcer la qualité, l’efficience, la communication et l’éthique, au cours de ma carrière. Ce fut là une belle expérience ! Le Bureau cantonal de médiation santé s’est élargi au monde du handicap et des établissements socio-éducatifs, dès 2011. Ma collègue Nadia Gaillet gère principalement les litiges de ce secteur.

En 2013, le Bureau cantonal de médiation santé-handicap a enregistré 270 cas dont 78 médiations. Qu’est-ce qui amène les patients à faire appel à vous ?

Les patients souffrent fréquemment de ne pas avoir été écoutés et de ne pas avoir été informés par les professionnels. Parfois, ils sont étonnés de se retrouver dans des relations dominants/dominés ou bien face à des attitudes de fuite et d’évitement. Ils peuvent être choqués aussi, car leur consentement n’a pas été demandé ou n’est pas respecté. Cela génère frustration, agressivité et colère. Ils vivent en quelque sorte un conflit de valeurs et d’identités. Leur objectif est de parler franchement, avec le médecin, par exemple, afin de mieux comprendre leur état de santé et les alternatives thérapeutiques.

Auriez-vous un cas précis de médiation à nous présenter ?

Je peux prendre un cas que j’ai vécu cette année. Une épouse de 55 ans et son fils de 20 ans étaient dans une immense souffrance suite au décès de leurs mari et père parce que
le chirurgien ne leur avait pas accordé d’entretien pendant quatre mois. Cet évitement a fait naître de la colère, des idées noires, des idées de suspicion. Ils se disaient que si le chirurgien ne voulait pas les rencontrer c’est qu’il avait quelque chose à se reprocher. Le patient souffrait en fait d’une malformation congénitale et était arrivé au bloc opératoire dans un état de grande détérioration. La famille ne voulait pas porter plainte, mais simplement être reçue correctement et avoir des explications. Ils ont pu mettre des mots sur leurs maux. Le médecin-chef est venu en médiation et j’ai eu affaire à quelqu’un de très humain, qui a pris le temps d’expliquer. Il avait bien étudié le dossier médical. La médiation est efficace si le médecin est capable d’écouter, de reformuler et d’être touché lui-même par la souffrance de l’autre et de s’excuser. Comme le dit Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix, il ne peut pas y avoir de pardon s’il n’y a pas une présentation sincère de regrets et d’excuses.

Vous affichez un taux de réussite de plus de 90%, comment l’expliquez-vous ?

Les compétences acquises au cours de ma formation de médiatrice et celles développées au cours de mon expérience sont probablement les principaux facteurs de réussite. Mais je suis aussi beaucoup plus stricte dans la sélection des cas que je retiens en médiation directe. Au début, je n’avais pas un tel taux de réussite (il se situait à 80-85%). Il m’arrivait de tenter la médiation directe avec des individus qui présentaient des troubles de la personnalité (pas toujours repérables de prime abord) et qui pouvaient devenir subitement très agressifs vis-à-vis des professionnels. Il fallait alors s’ériger en censeur afin de faire respecter le calme et parfois interrompre la séance, ce qui se soldait par un échec de la médiation.

Les droits des patients ont-ils progressé ces dernières années ?

Je pense que les patients et résidents ont plus de droits et qu’ils les exercent. Je dirais que les professionnels ont progressé également vers une recherche de dialogue avec les usagers et leurs proches. La médiation a eu des effets positifs, à court et à moyen terme, en matière de démocratie. Elle a permis aux personnes de se responsabiliser et de construire un monde nouveau empreint de réflexion, d’analyse critique et de créativité avec les professionnels.

Bio express

Chantal Thouverez exerce la fonction de médiatrice au Bureau cantonal vaudois de médiation santé depuis le 1er mai 2004, date d’ouverture de cette instance de recours. Docteure en sciences de gestion de l’Université de Lyon, elle a été directrice des soins à l’Hôpital de Morges, consultante puis elle a occupé le poste de responsable des affaires sanitaires au secrétariat général du Département des affaires sanitaires et sociales (DSAS) de 1999 à 2004. Le Bureau cantonal de médiation santé est le premier en Suisse romande. Partage de dix ans d’expérience avec cette pionnière dans les domaines de la médiation et des droits des patients.

La médiation

La médiation est une démarche volontaire, confidentielle, gratuite et individuelle (la présence d’un juriste ou avocat n’est pas autorisée). Elle se déroule, entre la saisine et la signature de l’accord, en un mois, un mois et demi. Les avantages de la médiation sont les suivants : apaisement, reconstruction du lien social et de la confiance, amélioration de la qualité des prestations, non-reproduction d’incidents malheureux au sein de la communauté des patients/résidents. Vaud est le premier canton à avoir mis en place un bureau de médiation santé, le Jura l’a suivi en 2011 par la nomination de deux médiatrices santé. Ce sont les deux seuls cantons en Suisse romande à disposer d’un bureau de médiation santé.

Quels sont les principaux droits des patients ?

Le droit au libre choix du professionnel de la santé, le droit à l’information, au consentement libre et éclairé, d’accéder au dossier, d’être accompagné, l’interdiction des mesures de contraintes physiques, le droit au respect de la confidentialité et de rédiger des directives anticipées. Une brochure produite par Sanimedia rassemble ces droits dans les différents cantons romands : www.infomediation.ch/cms/fileadmin/dokumente/Newsletter/2011-09/fr/Essentiel_droits_des_patients_Romandie.pdf

Bureau médiation santé Vaud : www.vd.ch/mediation-sante

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