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Interview de Caroline Vuillemin

Une information indépendante peut apaiser une situation.

Caroline Vuillemin, Directrice générale Fondation Hirondelle

Depuis 1995, la Fondation Hirondelle fournit de l’information à des populations confrontées à des crises.
Elle est intervenue jusqu’ici dans 18 pays fragiles ou en conflit où elle a développé et soutenu de nombreux médias indépendants. Rencontre avec sa directrice.

– Madame Vuillemin, la Fondation Hirondelle défend une information indépendante, crédible et non partisane; en quoi est-ce important dans les zones de crise où vous travaillez ?

Caroline Vuillemin – Dans les contextes fragiles ou de conflit, les rumeurs et les informations non vérifiées peuvent entraîner des mouvements de foule, des réactions violentes et donc des victimes. Une information indépendante, vérifiée, équilibrée, peut apaiser une situation, de sorte que la tension ne se traduise pas en action violente, que la société ne se désunisse pas ou ne se désintègre pas. Ces sociétés fragiles ne disposent souvent pas d’institutions solides ni de systèmes éducatifs efficaces. Grâce à une information publique, crédible, les citoyens peuvent connaître leurs droits, comprendre les problématiques et les enjeux auxquels ils sont confrontés au quotidien. Souvent les médias qui font leur travail professionnellement et avec indépendance deviennent des institutions nationales, des références de probité, de service et de protection.

– Pourriez-vous nous donner un exemple ?

– Je pense à la radio que l’on a créée en République Centrafricaine, Radio Ndeke Luka, que l’on gère depuis 2000. Des personnes viennent à la radio pour déposer plainte. Elles ne vont pas au commissariat de police car, pour déposer plainte, il faut payer le policier, et si on vient se plaindre que la garde présidentielle ou les militaires ont abusé de leur force, la plainte n’est pas recevable. La radio se retrouve à jouer plusieurs rôles mais ce n’est pas le nôtre de faire la justice. Quand nous recevons ce type de témoignage, nous vérifions l’information. Nous en parlons, cela devient un sujet, le point de départ d’une émission ou d’un magazine, pourquoi la police est-elle mal formée, pourquoi n’est-elle pas payée, pourquoi ne reste-t-elle pas dans son rôle de protection ? Cela donne un pouvoir aux médias et à l’information qui est peut-être même trop grand. Le pouvoir entraîne toujours de la responsabilité. La responsabilité d’un média comme Radio Ndeke Luka en Centrafrique est immense car les citoyens n’ont aucune institution boussole qui fonctionne. Parfois des enfants se perdent et on les amène à la radio. La radio passe alors des appels à la famille pour dire que l’on a retrouvé tel enfant dans tel quartier.

– Dans les contextes de guerre, il y a aussi beaucoup de désinformation, certains médias sont des relais de propagande ?

– Notre vision de l’information indépendante et d’un média de service public n’est pas d’occuper un pouvoir. Mais, dans le sens premier du mot média, d’être cet intermédiaire entre des enjeux, des réalités, des faits, un public et une audience. Nous ne voulons pas conforter un pouvoir existant ou nous y opposer mais donner la parole à toutes les parties. C’est peut-être la définition d’un service public, d’un média qui doit s’adresser à tout le monde et donner la parole à tout le monde. Dans les pays fragiles, se positionner comme un pouvoir ou un contre-pouvoir est très dangereux, cela mettrait en danger les journalistes de ce média au niveau de leur sécurité. On risquerait aussi de se positionner de manière partisane, or cela contribuerait à créer des violences, de la division et des conflits dans le pays. Notre méthode, à l’inverse, est inclusive : tout le monde a sa place dans le pays et donc autour de notre micro. Chacun a droit à la parole et le droit de jouer un rôle. Nous ne sommes pas là pour être contre le pouvoir. Il y a toute une série de pouvoirs qui s’affrontent et entrent en jeu. Et parfois les menaces ou les réticences par rapport à l’information indépendante ne viennent pas uniquement du pouvoir politique ou militaire.

– Quelle est votre vision de l’information indépendante dans les pays en crise pour le futur ?

– Quand une information est biaisée, les choix qui en découlent sont biaisés. Une information rigoureuse et professionnelle produite de manière indépendante permet un fonctionnement sain de la démocratie. On base notre système démocratique sur le choix d’individus, or, pour faire un choix, il faut avoir toutes les données et plusieurs options. Cette indépendance de l’information repose sur un équilibre, la volonté de présenter plusieurs options, la palette des possibles et, quand les enjeux le nécessitent, les conséquences de ces différentes options en toute indépendance. Le citoyen, qu’il soit analphabète au fond du Burkina ou d’une certaine catégorie socioprofessionnelle à Genève, est tout à fait capable de faire son choix quand on lui donne les cartes pour décider.

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Société