France, retour aux fondamentaux
À l’heure où les lecteurs abandonnent le papier pour filer sur la Toile, terreau des « fake news », des journalistes sont entrés en résistance. L’investigation poussée redevient prioritaire aussi bien pour de nouveaux sites que pour un réseau d’enquêteurs réunis en Consortium.
Les Français ne font plus confiance aux médias, c’est ce qui ressort depuis quelques années des sondages TNS Sofres/La Croix. 1 Seuls 24 % des sondés estiment que les journalistes résistent aux pressions, qu’elles soient politiques ou financières. Et les concentrations des titres entre les mains d’une dizaine de milliardaires n’améliorent pas les choses, surtout quand Vincent Bolloré censure un documentaire sur Canal+. Dépendants des revenus publicitaires, les médias sont sévèrement touchés par ces restrictions d’autant qu’aujourd’hui les annonceurs privilégient le nombre de clics à une information de qualité. Le public succombe aussi aux sirènes du Net en glanant de plus en plus information via les réseaux sociaux. Paradoxalement, près de 8 Français sur 10 s’estiment pollués par de fausses nouvelles. Bref… leur rapport à l’actualité est altéré. Entre le manque de pluralisme et les pressions économiques, les médias sont condamnés à chercher de nouveaux business models s’ils veulent retrouver leur indépendance et survivre
face à l’infobésité, la dictature du direct, de l’immédiateté des réseaux sociaux…
Le pari gagnant du paywall, ou modèle payant
L’un des pionniers, Mediapart, « journal d’information indépendant et participatif », a fait le choix d’un modèle économique payant. L’ensemble de ses contenus est disponible uniquement par abonnement. N’en déplaise aux Cassandre, après presque dix ans d’existence, le titre affiche plus de 130 000 abonnés, soit quasi le double de son illustre aîné Libération. À la tête de ce « pure player », Edwy Plenel , ancien directeur du Monde, a sacralisé le journalisme d’investigation et cela paie. Les comptes cachés de Cahuzac, les relations Bettencourt-Woerth et autres scoops ont assis sa crédibilité. En revisitant le « projet de déclaration des droits et devoirs de la presse libre » du Conseil national de la Résistance, Mediapart revendique son indépendance commerciale et sa liberté face aux puissants. De quoi conforter sa viabilité et susciter des vocations. Ainsi, dans son sillage, d’autres titres comme « Les Jours » ou « Le1 » ont émergé. Le slogan de ce dernier est clair : « Notre indépendance, c’est vous ! »
Eric Fottorino, également ancien directeur du « Monde »1, a lancé cet hebdomadaire en 2014. Son format papier très original, une feuille A4 pliée, fait partie intégrante de l’ADN du 1. « Un état d’esprit, raconte son directeur. On ne cesse de s’ouvrir l’esprit en même temps qu’on ouvre les bras pour aller découvrir des contenus différents, surprenants, dérangeants. J’aime bien cet origami de l’esprit. »2 Si la forme est au service du fond, le journal traite d’une unique question d’actualité à travers les regards croisés d’écrivains, de scientifiques, de chercheurs, de poètes ou d’économistes. Avec la promesse de ne pas demander plus d’une heure de lecture. Une gageure face aux nouveaux formats d’information diffusés sur les smartphones ! Mais là aussi, la formule semble avoir trouvé son public avec ses 35 000 exemplaires écoulés chaque semaine, dont 18 500 abonnés.
Fondés en 2016 par des anciens journalistes de Libération, le site « Les Jours » défend lui aussi un journalisme singulier, curieux et tenace, qui vit grâce à la souscription de ses lecteurs. Ce site indépendant et sans pub souhaite « lutter contre l’infobésité, cette actu sans mémoire ». Sur le site, payant les journalistes prennent le temps, donnent du sens et de la place aux sujets jugés primordiaux pour livrer une information feuilletonnée. Un pari qui a permis de réunir 7500 abonnés dès la première année.
Dans notre monde global, les reporters ne peuvent plus travailler chacun dans leur coin.
Se regrouper pour enquêter
Faute de moyens, les médias traditionnels se déconnectent du terrain et négligent l’investigation poussée. Toutefois, une alternative a vu le jour avec la création du Consortium international des journalistes d’investigation ( ICIJ ). Ce collectif à l’échelle du globe s’est assuré la collaboration de 96 rédactions internationales dont celle de Cash Investigation pour décrypter les dizaines de millions de documents relatifs aux affaires SwissLeaks (2015), «Panama Papers» (2016) et autres scandales de corruption ou abus de pouvoir.
Dans notre monde global, les reporters ne peuvent plus travailler chacun dans leur coin. « L’ICIJ a été créé pour rompre avec le paradigme du loup solitaire ( reporter ) et le remplacer par celui d’un réseau et d’une communauté de journalistes qui, unis par une confiance mutuelle, collaborent à des enquêtes d’importance mondiale, explique Marina Walker 3, directrice adjointe du Consortium. Nos articles sont plus efficaces et plus forts lorsque nous échangeons des informations et travaillons par-delà les frontières. L’impact est plus grand – et c’est un impact mondial. »
Au téléobjectif ou au grand angle, le journalisme 2.0 doit plus que jamais privilégier un point de vue assumé pour redonner toute leur force à nos démocraties. Face au flot continu de données déversées par les canaux numériques de communication, son devoir s’apparente à la mise au point, en bon photographe témoin de son temps.
Société