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Art et recyclage, un mariage qui a du sens

Aujourd’hui, le ton n’est plus à l’humour mais à l’inquiétude. Les artistes s’emparent des déchets pour rendre visibles les désastres de l’anthropocène.

Arman, Tinguely, les Nouveaux Réalistes… dans les années 1960, les artistes utilisent déjà la récup’ pour fabriquer leurs œuvres d’art. Drôles de machines, carlingues de voitures et accumulation d’objets dénoncent la société de consommation. Mais l’après-guerre, en pleine modernité, pose encore un regard naïf et amusé sur les nouveaux modes de consommation compulsive.

L’ère de l’écoresponsabilité a sonné

Designers, artistes et même couturiers se tournent vers le recyclage des déchets et des objets que l’on n’utilise plus, indices manifestes de notre gaspillage exponentiel. Le Britannique Stuart Haygarth en collecte d’innombrables en plastique pour en faire des lustres colorés – belle valorisation de ce qui atterrit habituellement dans les océans – et le Français Daniel Firman détourne des déchets divers pour créer des sculptures qu’il appelle Plastic confetti dans lesquelles, pour certaines, on peut enfouir la tête. Les déchets peuvent être un moyen efficace de prendre conscience qu’il faut changer les habitudes. Dans le domaine de l’écodesign, la Suisse est la figure de proue. Adrien Rovero, diplômé de l’École cantonale d’art de Lausanne et lauréat de la Design Parade de Hyères, collabore régulièrement avec de grandes marques comme Hermès. Défenseur d’un design durable, il réfléchit notamment au recyclage de l’aluminium pour réaliser des objets à usage domestique. Les frères Markus et Daniel Freitag, quant à eux, ont créé des sacs à partir du recyclage de bâches de camion usées (exposés au Mudac en 2015) qui se vendent aujourd’hui dans le monde entier. Enfin, la marque Giroflex est connue pour utiliser uniquement des matériaux recyclés qui peuvent à leur tour être remis en circulation.

Le plus grand accélérateur dédié à la mode durable

Dans le secteur de la mode, particulièrement concerné par la question du recyclage, on réfléchit à produire moins et plus intelligemment. L’innovation vient en aide aux talents de demain. Pour preuve, par exemple, la création à Paris, près de la gare de l’Est, dans une ancienne caserne de pompiers (ouverture prévue en 2021) d’une pépinière – dite « accélérateur » – qui se veut la plus grande d’Europe, dédiée à la mode responsable (avec ateliers, showroom, open spaces, bureaux…). Les jeunes créateurs bénéficieront de 2000 m2 pour imaginer l’industrie durable de demain et pourront récupérer des vêtements donnés par les habitants pour les recycler. La conception éthique est un enjeu majeur de notre siècle quand on sait que l’industrie de la mode est la deuxième plus polluante du monde (85% des textiles finissent en décharge). En France, il se susurre que le projet de loi sur l’économie circulaire inclura l’interdiction de détruire les invendus du secteur.

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Lustre à base de plastiques de Stuart Haygarth.

Recyclage poétique et militant

Ils sont nombreux les artistes qui réalisent des œuvres à l’aide de matériaux recyclés en utilisant ce qui se trouve à leur portée, dans la rue, objets laissés à l’abandon, ou dans les décharges. Récemment, l’Ivoirien Mounou Désiré Koffi s’est fait remarquer avec ses tableaux réalisés à base de vieux téléphones portables, qui devraient être exposés prochainement en Suisse. « En deux ans, on a recyclé des milliers et des milliers de téléphones », a-t-il expliqué au journal Le Monde. Le jeune homme s’inscrit dans la veine de ses aînés africains dont les créations militantes intègrent des objets usagés, déchets de la société de consommation tels les bidons d’essence transformés en masques du Béninois Romuald Hazoumè. Dans un autre registre, dénonçant les horreurs de la guerre civile, l’artiste du Mozambique Gonçalo Mabunda et plus récemment le Congolais Freddy Tsimba récupèrent des armes et des douilles pour les transformer en œuvres d’art pacifiques. Moins militant, mais plus poétique, le travail de Gyan Panchal évoque depuis plusieurs années les traces silencieuses que laisse l’activité humaine dans l’environnement.

À partir de matières synthétiques, polystyrène, polypropylène, polyuréthane et autres plastiques, il édifie de fragiles installations où le matériau abandonné s’érige en souvenir solitaire d’un vécu oublié, d’une industrialisation mal maîtrisée. Ce recyclage artistique dessine dans l’espace de grands paysages évanescents, faits de morceaux de barques, de bouts de jouets, de bribes de matériel agricole… et nous renvoie, avec mélancolie, à une réflexion philosophique sur l’impact de notre empreinte sur Terre.

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Gonçalo Mabunda, It’s Shining, 2017. Ses oeuvres, souvent du mobilier, sont constituées d'armes récupérées à la fin de la guerre civile de son pays, le Mozambique.
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