Du jardin urbain à la ville agricole

Quelle place pour les champs et le jardin dans les agglomérations lémaniques ? Deux manifestations culturelles, l’une à Genève, l’autre à Lausanne, proposent cet été près de quarante jardins temporaires pour esquisser des réponses qui se veulent innovantes, drôles et festives. Avant-goût.

Un bélier géant gonflable tenant tête à la ville qui risque de s’installer dans son pré ; cinq échantillons prélevés dans des parcs suisses, qui squattent des places de stationne-ment ; un jardin potager qui pousse dans une terre amendée de… compost issu de toilettes sèches. Ce ne sont là que trois des trente-neuf jardins qui seront visibles cet été dans les rues de Lausanne et dans cinq communes du canton de Genève. Issues de l’imaginaire d’artistes, de plasticiens, de paysagistes et de jardiniers venus de toute l’Europe, ces installations sont les lauréates des deux concours organisés presque simultanément par « Lausanne Jardins » (cinquième édition cette année) et « Genève, villes et champs » (première édition).

Le pari est de faire de l’arc lémanique une destination paysagère de choix.

Si l’on trouve, parmi les acteurs qui portent le projet « Genève, villes et champs », quelques-uns de celles et ceux qui ont fait les beaux jours de « Lausanne Jardins », les deux manifestations sont pourtant indépendantes l’une de l’autre : toutes deux sont le fait d’associations distinctes, qui bénéficient du soutien financier et logistique de leurs communes et cantons respectifs. Aux fonds publics s’ajoutent des partenariats privés et institutionnels, dont celui de la Loterie Romande. Chacune dispose de sa propre équipe, de son propre concours et jury.
Qu’en sera-t-il du public ? Pourquoi coupler deux événements de nature si proche ? Sur le plan touristique, le pari est de faire de l’arc lémanique une destination paysagère de choix à l’été 2014, proposant des événements complémentaires dans un territoire restreint. Et sur le plan local, l’intention est de titiller visiteurs et habitants sur des enjeux brûlants – la densification des villes, l’urbanisation des champs… – mais sur un mode ludique et populaire. Car dans les deux fêtes, il sera question de paysages temporaires et de jardins utiles, de développement urbain et d’avenir de l’agriculture, avec des installations à déguster, à observer et à jouer. Certaines seront installées en plein champ ou sur les toits et dans les rues.

En remplaçant les voitures par un parterre de géraniums, on se demande comment ce parvis a bien pu devenir un parking : accident ou négligence ?

« Lausanne Jardins », événement international

La réputation de « Lausanne Jardins » devrait jouer les locomotives pour « Genève, villes et champs ». Organisée pour la première fois en 1997, cette manifestation culturelle autour du jardin dans la ville a alors pour mission de renouveler le regard des Lausannois – d’un jour ou de toujours – sur leur cité, quitte à chambouler leurs routines urbaines. De jardin en jardin, souvent avec le langage partagé des fleurs, des feuilles, des lianes et même des fraises, on soulève des questions qui animent toutes les villes du monde. Ainsi, en remplaçant les voitures par un parterre de géraniums, on se demande comment ce parvis a bien pu devenir un parking : accident ou négligence ? Ou encore cette fragile passerelle jetée dans le vide, vers le lac, qui redit l’incroyable panorama dont jouit Lausanne. Quadriennale, « Lausanne Jardins » devient un rendez-vous couru et discuté par des artistes et des paysagistes venus de toute l’Europe. Et les visiteurs visitent, les journalistes racontent, la notoriété monte. Les commissaires de la manifestation se succèdent – dont l’actuel architecte cantonal genevois, Francesco Della Casa –, les crédits sont reconduits d’édition en édition. Evénement aujourd’hui reconnu sur le plan local et inter-national, soutenu depuis toujours par la municipalité, « Lausanne Jardins » investit, au fil des éditions, coins perdus et parvis historiques, mais épousant de préférence les territoires en mutation : les plateaux ferroviaires qui étagent Lausanne sur la vallée du Flon font les beaux jours de l’édition 2004 ; le métro M2 qui tend son fil dans la pente nord-sud de la ville, trace dessus-dessous le parcours 2009.
La cuvée 2014 questionne la manière de jardiner la ville au XXIe siècle. Sous le titre Landing, les vingt-cinq jardins lauréats (sur cent quatre-vingts candidats internationaux) seront à la fois modulables, utiles, multipliables, contextuels et voyageurs. Un peu tout en somme, à l’image de ce qu’on attend de la ville aujourd’hui.

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« Jardin de lecture ». Situé près du futur parc agro-urbain de Bernex, cette ancienne décharge sera transformée en un jardin où lire et flâner. C’est l’une des 14 installations visibles de juin à octobre entre le Bois de la Bâtie et Bernex, dans le cadre de la manifestation « Genève, villes et champs ». Ce jardin est piloté par le bureau Guido Hager, architecte paysagiste, Zurich.

Une première pour « Genève, villes et champs »

Dans la dynamique des grands projets du canton, menés actuellement en dix secteurs stratégiques, « Genève, villes et champs » a choisi une thématique des limites, entre ville et agriculture, entre champs habités et champs cultivés. Au total, quatorze jardins ont été sélectionnés (sur cinquante projets candidats), le long d’un parcours qui s’étend du centre de Bernex au Bois de la Bâtie, en ville de Genève. L’itinéraire vagabonde entre le Rhône et la plus récente ligne de tram, le TCOB, offrant de multiples entrées au gré des cinq communes traversées. Chacune d’elles est partenaire de la manifestation.
A noter que la totalité des projets ont été exposés au public deux fois en 2013, séparément dans leurs cantons respectifs à l’issue du concours, et ensemble dans les couloirs de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (Hepia). Partenaire des deux événements, l’Hepia a par ailleurs mis sur pied des ateliers d’étudiants qui investiront de leurs propositions certains des sites de « Genève, villes et champs » et « Lausanne Jardins ». Plu-sieurs autres écoles participent à l’une et l’autre des manifestations, que ce soit l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), le Centre d’enseignement professionnel (CEP) et le Centre de Lullier notamment. Sans compter les écoles des communes et les sociétés locales. Toujours dans le cadre des partenariats avec les hautes écoles, « Genève, villes et champs » collabore aussi avec la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD) pour son identité visuelle, sa communication digitale et sa signalétique. Des entreprises privées, notamment dans le domaine de la construction et de l’agriculture, apportent qui un soutien logistique, qui une contribution financière. Les vernissages sont prévus pour les 13 et 14 juin.