Le design fait sa révolution
Les imprimantes 3D et les biotechnologies sont les nouvelles championnes d’une production qui pense le monde de demain et tente d’expérimenter le vivant comme médium de fabrication plus écologique.
De plus en plus, les architectes et les designers inventent de nouvelles formes esthétiques grâce aux nouvelles technologies. C’est ce que la récente Biennale de design de Saint-Étienne a essayé de nous montrer cette année, en prenant pour exemple la Chine comme acteur incontournable de la révolution numérique du XXIe siècle, foisonnante d’entreprises à la pointe dans les mégapoles de Shanghai et Shenzhen, mais bien loin du souci écologique. Étonnamment, aucun contrepoint, aucune mention des problématiques dues à la surpopulation et à la pollution ravageuse… Cette biennale, constituée d’expositions dénuées de contenus créatifs intéressants et noyées dans un propos théorique trop conceptuel, en a oublié les artistes d’aujourd’hui et leurs propositions, trop occupée à satisfaire un discours politique et bien-pensant. Pourtant, ils sont nombreux, les designers imaginatifs qui nous enthousiasment ou, au contraire, nous alertent, un peu désabusés, sur les désastres à venir de notre société de l’anthropocène. La Triennale de design de Milan le titre assez justement Broken Nature en nous suggérant ce point de vue : le design a-t-il le pouvoir de réparer notre planète, et cela passe-t-il par les nouvelles technologies ?
Création à l’aide de matériaux vivants
Ainsi voit-on naître ce que l’on appelle désormais la « biofabrication » : des vêtements de mode et des accessoires à base de molécules, de bactéries, de levures, des briques ou des meubles à base de champignons telle la chaise Mycelium Chair d’Éric Klarenbeek dans l’exposition La Fabrique du vivant au Centre Pompidou qui indiquait que « la création contemporaine découvre de nouvelles formes d’interaction avec le domaine des sciences du vivant, des neurosciences et de la biologie synthétique ». Les designers envisagent désormais ce que l’on nomme le design computationnel, une nouvelle grammaire esthétique qui reproduit les mécanismes génératifs du vivant en hybridant matières vivantes et industrielles. Airbus n’a-t-il pas utilisé un algorithme capable de reproduire la structure d’un organisme monocellulaire pour construire une cloison de cabine A320, 45% plus légère que les anciennes et donc plus économique ? Plusieurs exemples de beaux objets hybrides étaient aussi montrés dans l’exposition Design et merveilleux du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne l’hiver dernier, dont la chaise avant-gardiste Solid C2 (2004) du Français Patrick Jouin, pionnier de l’impression 3D appliquée au design. Aujourd’hui, il continue ses expérimentations et vient de réaliser le prototype Tamu, nouvelle assise en impression 3D qui économise les matériaux en mimant les capacités infinies de Dame Nature. L’impression 3D peut aussi servir des causes sociales à des coûts abordables. Tel est le cas du projet du designer suisse Yves Béhar, fondateur du studio Fuseproject, qui s’est allié à l’association New Story et au fabricant d’imprimantes 3D béton ICON pour expérimenter un projet de lotissement en impression 3D en Amérique latine pour des populations défavorisées (une première maison de 32 m2 a été réalisée en 48h pour environ 10’000 dollars, et le projet devrait voir le jour d’ici à quelques mois).
Quand l’intelligence artificielle s’en mêle
Du côté du design numérique, toutes les grandes entreprises ont désormais un département design constitué de plusieurs chercheurs dans le domaine afin d’améliorer les sites internet, les applications mobiles, les nouveaux assistants vocaux, les performances des voitures… Depuis deux ans, toutes les grandes universités créent leur master en intelligence artificielle (en 2017, l’Université de la Suisse italienne ouvrait le premier du pays ; en France, Paris-Dauphine vient de créer le sien) pour former les futurs ingénieurs et designers à la révolution qui est en train de s’opérer dans nos systèmes de production. Car il s’agit bien de design systémique aujourd’hui et non plus seulement d’objets, d’un « design relationnel », disent certains, « de data » pour d’autres. Cependant, il est clair qu’on ne peut se passer d’objets. Ces derniers entrent désormais en relation avec les systèmes génératifs de logiciels. L’intelligence artificielle est l’assistante privilégiée des designers, qui ne cessent d’en repousser les limites. Le futur est en train de s’écrire.
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