Nos déchets, une précieuse ressource

Deux fois plus petite que son ancêtre, l’usine d’incinération des Cheneviers 4 s’allumera en 2023. Le point sur l’évolution de notre rapport à nos ordures avec Mathias Goretta, directeur du projet, et Thierry Gaudreau, directeur des Cheneviers.

Dans les poubelles genevoises, le vent a tourné en 1988. Cette année-là, le canton s’est doté d’une station de compostage, signe que citoyens et politiciens commencent à s’intéresser au destin de leurs déchets. En effet, depuis les années 1960, la quantité d’incinérables n’a cessé d’augmenter, obligeant l’usine d’incinération des Cheneviers à agrandir ses installations. Jusqu’à sa prochaine version, prévue pour n’incinérer que 160’000 tonnes de déchets par an, contre 250’000 pour son ancêtre actuellement en service. Explications.

Immorama : La future usine de Cheneviers 4 est beaucoup plus petite que Cheneviers 3, comment est-ce possible, Thierry Gaudreau ?

TG : Il est vrai que cet objectif est ambitieux, car l’an dernier encore, nous avons traité 195’000 tonnes de déchets genevois incinérables. Autrement dit, pour atteindre les 160’000 tonnes des nouvelles installations, nous devons réduire leur quantité de 35’000 tonnes, ce qui est énorme. Mais la perspective a changé. Le futur site est dimensionné en fonction de l’énergie qu’il doit produire et non des quantités de déchets à brûler. Par ailleurs, la nouvelle politique cantonale qui va être mise en œuvre devrait permettre d’atteindre cet objectif. Cela dit, même dans le cas où nous dépasserions légèrement nos capacités lors de la mise en service, nous pourrions traiter ce surplus, notamment en l’acheminant par le rail vers d’autres sites romands. C’est moins grave que de surdimensionner l’installation et de courir le risque de manquer de combustible.

Mathias Goretta, n’est-ce pas une aberration de faire voyager des ordures, du point de vue du CO2 ?

MG : Non, du moment que les transports passent par le rail. Nous avions effectué un écobilan de ce type d’opération en 2008, pendant la crise des déchets à Naples. Nous n’avons pas été autorisés à en importer pour les brûler, mais il est apparu que ces déchets mis en décharge en Italie émettaient 19 à 27 fois plus de gaz à effet de serre qu’en étant transportés en Suisse en train. Le jeu en valait donc vraiment la chandelle, n’oubliez pas que nous vivons tous sur la même planète.

Nous envisageons réellement les déchets comme des combustibles et notre métier consiste à les valoriser pour produire de l’énergie. 

Mathias Goretta, directeur du projet

Mais comment se fait-il que vous misiez sur une diminution de la quantité de déchets à incinérer alors que nous en produisons sans cesse davantage ?

MG : Aujourd’hui, on les recycle de plus en plus. Cela n’a pas toujours été le cas : jusqu’à la fin des années 1950, on se contentait de les mettre en décharge ! C’est l’arrivée des plastiques qui a changé la donne. La Suisse a alors décidé d’interdire progressivement la mise en décharge des déchets ménagers et l’on a commencé à bâtir des usines d’incinération. La première du canton a été ouverte en 1959, à Versoix. Elle était expérimentale et a fonctionné jusqu’à la fin des années 1980. Très vite, elle a été débordée, ce qui a conduit à la construction de Cheneviers 1, puis Cheneviers 2, en 1978, d’une capacité de 200’000 tonnes par an, soit le double de la précédente.

Malgré cela, la saturation est rapidement arrivée…

MG : Oui, on a envisagé de l’agrandir dès la fin des années 1980. Cheneviers 3 est entrée en service en 1993 et elle pouvait absorber deux fois plus de déchets que Cheneviers 2. Mais elle n’a jamais fonctionné à plein régime, car en parallèle, justement, les citoyens se sont mis au tri. Des déchetteries sont apparues, ainsi que des entreprises de recyclage.

TG : Pour combler le vide dans les fours, nous avons traité des déchets en provenance de l’étranger et d’autres cantons, de Vaud notamment, avant la mise en service de Tridel à Lausanne en 2007. Ensuite, dès 2009, un arrêté nous a interdit l’importation de déchets au-delà d’une zone dépassant les 60 km. Lorsque le projet Cheneviers 4 a commencé, pour le dimensionner correctement nous avons dû imaginer quelles quantités d’ordures le site devrait gérer à l’avenir. Mais bien malin qui peut dire comment elles évolueront dans les trente prochaines années ! Reste qu’aujourd’hui, l’important est que le site soit à même d’alimenter nos réseaux d’énergie, et ce sera le cas. Voilà pourquoi les SIG ont fait le pari de construire une usine beaucoup plus petite.

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La future usine d’incinération des Cheneviers a été dimensionnée par rapport à la quantité d’énergie à produire.
La future usine d’incinération des Cheneviers a été dimensionnée par rapport à la quantité d’énergie à produire.

Mais alors, ne craignez-vous pas, à l’inverse, de manquer d’incinérables si les Genevois se mettent à trier leurs poubelles de manière trop zélée ?

MG : Le risque est faible ! Pour y parvenir, il va falloir augmenter le tri à la source. Mais le canton est déterminé à se donner les moyens d’y arriver, il dévoilera d’ailleurs prochainement la politique qu’il prévoit d’instaurer pour s’approcher le plus possible de cet objectif dans les quatre années à venir.

À partir de quel moment a-t-on commencé à considérer les déchets comme une ressource ?

MG : La toute première usine des Cheneviers produisait déjà de l’électricité à partir de la combustion. On l’utilisait directement sur le site. À l’époque, celui-ci était géré par l’État. En 2001, lorsque les SIG — dont le métier consiste à produire de l’énergie — ont repris le témoin, la philosophie a changé. Les déchets sont devenus des combustibles et nous avons cherché à valoriser la production de nos installations.

Même le vocabulaire a évolué…

MG : Oui, avant que les SIG ne soient en charge du site, certains textes désignaient l’installation comme une « usine d’élimination des résidus » ! On revient de loin ! Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’« UTVD », pour « usines de traitement thermique et de valorisation des déchets ». Nous envisageons réellement les déchets comme des combustibles et notre métier consiste à les valoriser pour produire de l’énergie. Du point de vue de l’ingénierie, Cheneviers 3 avait encore été conçue pour éliminer les déchets, nous l’avons fait évoluer. Avec Cheneviers 4, nous changeons notre fusil d’épaule et disposerons d’une installation vraiment destinée à les valoriser.

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Environnement