Ces ventes qui créent la polémique
L’Etat italien espère engranger près de 50 millions d’euros grâce à la mise aux enchères de cinq ports touristiques de la Péninsule. Le dossier est sensible et le processus de vente, loin de faire l’unanimité, suscite de nombreuses critiques.
L’Italie va-t-elle suivre le chemin de la Grèce ? Depuis quelques mois, certains journaux transalpins se posent la question. L’annonce de la privatisation de plusieurs ports touristiques par le gouvernement déclenche un mouvement de protestation. Les enjeux et les sommes engagées n’ont pourtant rien à voir avec la vente du port du Pirée à Athènes, mais l’événement est symbolique. Il touche un patrimoine particulièrement cher aux yeux de l’opinion publique. Trieste, Portisco (Sardaigne), Arechi (province de Salerne), Roccella Jonica (Calabre) ou encore Capri… Ces destinations font régulièrement la couverture des magazines consacrés au tourisme. Depuis quelques mois, elles alimentent surtout les pages de la presse économique.
Un rêve brisé
Au début des années 2000, les gouvernements se succèdent en Italie, mais une ambition résiste aux soubresauts politiques : le pays doit devenir la référence européenne en matière de tourisme nautique. Un grand projet est lancé pour valoriser les 7 500 km de côtes de la Péninsule, un patrimoine naturel sous-exploité. La société Italia Navigando est créée par le Ministère de l’économie. Sa feuille de route est claire : bâtir du nord au sud de la botte un immense réseau de 50 ports et 25 000 places, capable d’offrir aux plaisanciers les meilleurs services et les infrastructures les plus modernes. Une quinzaine d’années plus tard, le réveil est douloureux. L’Italie a enterré ses rêves de grandeur.
Plus exactement, elle a décidé de les confier au secteur privé… car ce gigantesque réseau portuaire porté par des investissements publics n’a jamais vu le jour ! Les malversations, les problèmes de management, la crise économique ont torpillé les ambitions d’Italia Navigando. La société, criblée de dettes, a été liquidée à la fin de l’année 2014. Du coup, ce délicat dossier a été récupéré par Invitalia, l’agence nationale d’investissement du Ministère de l’économie. Comme le gouvernement de Matteo Renzi n’a pas l’intention de gaspille une nouvelle fois de l’argent public, il a assigné un objectif très simple à Invitalia : vendre au meilleur prix la participation de l’Etat dans les ports d’Arechi (32%), Capri (49%), Roccella Jonica (51%), Portisco (100%) et Trieste (100%). Les gains espérés sont conséquents : près de 50 millions d’euros. Mais au final, l’opération s’avère bien moins lucrative que prévu.
Une somme de 8 millions d’euros pour prendre le contrôle total de la marina de Portisco en Sardaigne.
Certaines enchères boudées
C’est notamment le cas pour Trieste, qui n’a pas attiré le moindre investisseur. Même constat pour la marina d’Arechi, dans le golfe de Salerne. Cette morosité contraste avec l’intense activité affichée par certains investisseurs, qui ont peut-être «flairé» la bonne affaire. Le groupe Marinedi a ainsi proposé 8 millions d’euros pour tenter d’acheter la marina de Portisco en Sardaigne, estimée à plus de 20 millions d’euros. Une offre finalement jugée trop faible. Comment expliquer un tel écart ? La raison est simple : ces enchères ne comportent pas de prix de réserve. Un «oubli» largement critiqué par la presse. Certains journaux accusent le gouvernement de faire preuve de précipitation et de brader le patrimoine public du pays.
Droit de préemption
Malgré ces contretemps, la procédure de vente suit son cours et promet encore des surprises, notamment à Capri. Ici, les enchères ont été très disputées avec pas moins de six concurrents en lice. Elles ont finalement été remportées par Navigazione Libera del Golfo (NLG). Cette société a proposé plus de 5 millions d’euros pour acquérir les parts du port encore détenues par l’Etat. Mais la mairie de Capri, actionnaire majoritaire à hauteur de 51%, a sorti une « botte secrète » : son droit de préemption. Elle a décidé de l’exercer en s’alignant sur l’offre formulée par NLG. «Ce port a été construit avec l’argent de notre commune. Nous voulons donc maintenir cette société à 100 % dans le giron public», précise Gianni de Martino, maire de Capri. La mairie de Capri est ainsi devenue l’unique actionnaire de son port de plaisance. Mais une longue bataille judiciaire s’annonce, car la société NLG a déposé un recours. Décidément, ces privatisations n’ont pas fini de provoquer des vagues.
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