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Interview de Cédric Jotterand

Aujourd’hui, les journaux doivent se rapprocher de leur population, lui donner les informations qu’elle ne trouve pas sur Internet.

Cédric Jotterand, Le rédacteur en chef du « Journal de Morges » et directeur du titre

Le « Journal de Morges » a été racheté au groupe Tamedia Publications romandes par son rédacteur en chef à la fin de l’année 2016, pour devenir un hebdomadaire indépendant. Le pari pouvait s’avérer risqué dans un paysage médiatique fragilisé. Pourtant le journal se porte aujourd’hui bien et annonce des résultats convaincants.

Alors que la tendance générale est à une concentration des médias, un exemple de journal local détonne dans le paysage médiatique romand. Depuis le mois de novembre 2016, le Journal de Morges, qui appartenait à Tamedia Publications romandes, a été racheté par son rédacteur en chef, Cédric Jotterand, pour devenir un hebdomadaire indépendant. Si à l’origine de la transaction, le rédacteur en chef avait cinq ans pour acquérir le reste des parts du journal, c’est en à peine plus d’une année que l’hebdomadaire a finalement été entièrement racheté. Entretien avec le rédacteur en chef et directeur de ce journal vaudois qui n’a pas eu peur de s’engager pour une cause en laquelle il croyait.

– Comment s’est passée la vente du Journal de Morges ?

Cédric Jotterand – En 2014, Tamedia a annoncé vouloir vendre ses petits journaux (le Journal de Morges, La Broye et Le Régional, ndlr.). J’ai cherché une solution pour racheter le journal en m’entourant d’amis, d’entrepreneurs locaux, etc. Malheureusement, mon offre n’était pas suffisante pour le groupe de presse qui avait un objectif financier bien plus élevé.
J’ai alors réfléchi à un autre modèle. J’avais réussi à réunir un certain montant autour de moi qui représentait environ 50 % de la somme demandée par Tamedia. J’ai alors proposé que la seconde partie de l’acquisition du titre soit payée au franc près, mais sur une période de cinq ans. J’ai contacté les communes du district pour leur demander leur aide, leur expliquant que ce rachat permettrait de rapatrier ce journal local dans sa région. Environ deux tiers des communes se sont engagées à verser une fois, uniquement pour racheter les actions du journal, 3 francs par habitant. Nous avons ainsi reçu entre 100 000 et 120 000 francs. Cette aide a été un énorme coup de pouce car elle nous a permis de racheter 51 % des actions auprès de Tamedia. Après cette première année d’exploitation qui s’est révélée positive, la suite de la reprise a pu être anticipée grâce au fort soutien de la région, des lecteurs et des annonceurs.

– Pourquoi Tamedia a-t-il voulu se séparer de votre journal qui était pourtant rentable ?

– Il y a quinze ans, la volonté des éditeurs était d’acheter un maximum de titres pour avoir un portefeuille très large. La tendance a changé par la suite pour aller vers une forme de concentration ; Tamedia voulait se concentrer sur ses grands titres pour avoir quelques produits phares. Avec les difficultés financières qui existaient sur le plan national, ils n’avaient plus le temps de se consacrer à sur l’avenir d’un petit journal comme le nôtre, ils voulaient donc s’en séparer.

– Comment cette vente a-t-elle été perçue autour de vous ?

– Au moment de l’annonce de la vente du Journal de Morges, personne ne réalisait vraiment que les médias étaient menacés. Puis, il y a eu deux événements coup sur coup qui ont entraîné une prise de conscience : des licenciements massifs à la Tribune de Genève et à 24 Heures, puis la fermeture de L’Hebdo. La porte était ouverte, plus rien n’était impossible !
Les communes du district de Morges ont alors réalisé qu’elles avaient besoin de ce journal local qui faisait office de témoin de l’actualité de la région.

– Et du côté des lecteurs et des annonceurs ?

– Nous avons rencontré un élan très positif de leur part durant les mois de novembre et décembre 2016. De nombreuses personnes se sont abonnées au journal et des annonceurs cantonaux qui ne diffusaient pas forcément de pub dans notre journal ont pris des annonces. Cet élan nous a portés toute l’année. Mais nous étions conscients que c’était exceptionnel. L’enjeu était alors de garder ces abonnés.

– Aujourd’hui, comment se porte le Journal de Morges ?

– Suite au rachat, nous avons eu environ 650 nouveaux abonnés entre novembre 2016 et décembre 2017, ce qui nous a permis de passer la barre des 6 000 abonnés. C’est un seuil intéressant puisque cela fait de nous le plus grand des petits journaux ! Sur le plan pratique, la transition a nécessité un gros travail d’ajustement au niveau informatique par exemple, avec le changement des logiciels d’édition, de publicité ou de gestion des abonnements, mais aujourd’hui tout fonctionne très bien.

– Cette prise d’indépendance a-t-elle eu un impact sur votre travail et votre traitement de l’information ?

– Non. Lorsque nous avons approché les communes pour leur demander leur aide, il a été primordial de leur expliquer que leur don n’impliquerait aucune contrepartie dans le journal. Il était indispensable que l’on puisse continuer à travailler de manière indépendante. Ce message a été très bien reçu. La question s’est également posée auprès de la ville de Morges qui initialement voulait faire un don de 50 000 francs ainsi qu’un prêt de 100 000 francs pour le rachat du journal. Finalement, le Conseil communal de Morges a pris la décision de nous prêter 150 000 francs sans intérêts, afin de ne pas devenir actionnaire du Journal de Morges et avoir une partie prenante de la marge du journal.

– Quels sont vos objectifs pour la suite ?

– Actuellement, nous avons un partenariat avec le quotidien 24 Heures, à qui nous vendons des articles. Afin d’anticiper une éventuelle érosion de la publicité, nous souhaiterions continuer à nouer des relations autour de nous pour des mandats rédactionnels et journalistiques spécifiques. Nous allons peut-être réaliser des journaux communaux. Pour l’heure, les premières expériences de ce type sont en tout cas très prometteuses.

– Au niveau de la presse de manière générale, comment percevez-vous l’avenir ?

– Je ne suis pas dans le secret des chiffres, mais on entend que la baisse continue pour les grands titres. Leur approche généraliste a fait leur force pendant longtemps. Mais il y a eu par la suite un virage qui a laissé de côté l’approche locale pour se concentrer sur une approche plus globale. Aujourd’hui, les journaux doivent se rapprocher de leur population, lui donner les informations qu’elle ne trouve pas sur Internet. C’est probablement en se positionnant sur une échelle plus locale qu’ils trouveront leur salut dans ce système. Mais cela risque de prendre du temps…

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Société