Brèves de conteurs

Devant l’impact des réseaux sociaux, de nouveaux médias misent sur les «Stories», des vidéos en format court pour capter l’attention des Milléniums.

L’année 2017 aura été marquée par l’arrivée de l’info vidéo. Des flux rapidement partagés, de manière dynamique, et disponibles quand on veut, où l’on veut, comme on veut. Facebook, Twitter, LinkedIn… ont l’apanage de ce mode de consommation de contenus, qui doivent être visuellement accrocheurs pour susciter des vues. Consultés le plus souvent sur mobiles, ces miniséquences (inspirées des «thumb-stoppers», vidéos virales réalisées spécialement par des marques) fleurissent sur les réseaux sociaux. Parmi ces derniers, deux plateformes connaissent une croissance solide et constante : Snapchat et Instagram.

Informer les digital natives

L’application au petit fantôme blanc sur fond jaune (ndlr. : Snapchat comptait 178 millions d’utilisateurs actifs au quotidien début novembre 2017) peut revendiquer la paternité d’une nouvelle forme de narration résolument courte et visuelle flattant la créativité de ses abonnés. Il s’agit de « Stories », succession de miniséquences qui, chronologiquement mises bout à bout, rendent compte d’une expérience. Désormais, ces vidéos ou photos éphémères s’échangent publiquement sur Snapchat, Instagram, WhatsApp voire Facebook. Ces applications, installées sur un smartphone, permettent de produire et distribuer très facilement des contenus et de les partager en un minimum de temps. Pour donner une
idée de l’ampleur du phénomène, au 1er janvier 2018, sur les 500 millions d’utilisateurs actifs au quotidien sur Instagram, 300 millions ont publié des «Stories» !

Cette lame de fond ne pouvait pas laisser insensibles les professionnels de l’information. Pour récupérer l’audience, en particulier les jeunes qui ne consomment du contenu qu’avec leurs smartphones, ils ont dû rapidement apprivoiser la forme et leurs codes. Accroche visuelle, grand renfort d’infographie, de couleur… sont de rigueur pour hameçonner dès les premières images. Pour susciter des vues ou des like, « il faut savoir créer sa marque, sa voix, sa signature éditoriale », expliquait Bernard Mourad, banquier et patron du média vidéo Loopsider, au micro de France Culture le 26 novembre dernier.

«Être innovant sur l’écriture, sur le rythme, sur les nouveaux formats, sur le design pour attirer l’attention et apprendre quelque chose en 30 secondes à des gens qui sont submergés au quotidien par des tonnes d’informations.»1

Sur les 500 millions d’utilisateurs actifs au quotidien sur Instagram, 300 millions ont publié des ‹ Stories › ! »

Des contenus qui génèrent des records de vues

Si les pionniers sur le filon sont Anglo-Saxons (NowThis lancé par des anciens du Huffington Post ou AJ+ d’Al Jazeera), la francophonie s’exprime aussi. En Romandie, Nouvo, une petite rédaction composée de journalistes, graphistes et éditeurs de médias sociaux s’est formée au sein de la RTS. Leurs vidéos d’information lancées en mars 2016 sur Facebook et Twitter ont vite conquis les jeunes Romands. Un an après, le projet rebaptisé Nouvo-News prend de l’ampleur. Produites dans les quatre langues nationales plus l’anglais, les vidéos se destinent aux 18-30 ans.

Avec ses 2 290 000 vues par mois en moyenne, le succès est bel et bien là. Primée en décembre dans la catégorie vidéo du Meilleur du Web, la jeune équipe continue d’innover avec une «Story», spécialement conçue pour Instagram, au titre évocateur : (Tout Nouvo) Tout bo. Avec un peu de retard à l’allumage, les voisins de l’Hexagone ont lancé Brut, Monkey et Loopsider.

Le style de Brut ? Également des vidéos d’information ultracourtes, très anglées et ne dépassant pas 4 minutes. Ce traitement de l’information a lui aussi trouvé son public, comme en témoigne la vidéo virale de Bernie Sanders face à l’équipe de Trump totalisant aujourd’hui près de 28 000 vues. En un an, la jeune équipe issue du Grand et du Petit Journal affiche un milliard de vidéos vues au compteur, un score qu’elle souhaite obtenir chaque mois. Pour y parvenir, le jeune média use d’un style réactif, percutant, tout en misant sur un ton décalé, rappel de l’esprit Canal, en quelques minutes.

Monkey, en ligne depuis novembre 2017, est lui aussi un média 100% social, 100% vidéos, 100% premium, et destiné aux digital natives. Mais il se distingue par un choix rédactionnel davantage porté sur le décryptage et l’approfondissement des sujets. Chaque jour, un sujet d’actualité est décortiqué de façon pédagogique en 3 minutes. On reconnaît bien là la patte d’Emmanuel Chain, présentateur historique de l’émission Capital sur M6 et cofondateur de la société de production Elephant. L’équipe de onze personnes regroupe des journalistes, des graphistes et des monteurs. Après deux mois, Monkey affichait près de 30 000 followers sur Facebook, 2400 sur Twitter et presque 1000 sur YouTube.

Lancé par des anciens patrons du Web (Bernard Mourad, Giusseppe de Martino, Johan Hufnagel et Arnaud Maillard, respectivement anciens dirigeants d’Altice, de DailyMotion, de Libé.fr et du numérique Discovery), Loopsider s’adresse lui aussi aux «thumbennials», littéralement ceux qui s’informent avec le pouce. Baptisé Loopsider en hommage à la boucle de la viralité sur les réseaux sociaux, ce jeune média se veut lui aussi 100% vidéos, 100% social et 100% premium. Et il compte bien se distinguer par la production de cinq à dix vidéos par jour d’une durée de 30 secondes à 1 voire 2 minutes. Il a été lancé en janvier sur Facebook, YouTube, Instagram et Twitter.

Dix ans après le lancement de la Télévision Numérique Terrestre, la quasi-totalité des chaînes perd de l’argent. Les annonceurs semblent migrer gentiment des médias historiques vers des supports plus intimes. La démocratisation de l’accès à l’information ne peut toutefois faire l’économie de son traitement. Aussi, pour éviter d’être asservis par des algorithmes, l’émergence de nouveaux titres mettant la forme au service du fond ne peut que nous réjouir.

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